Yves-François Blanchet face à la peur des électeurs

La nervosité engendrée par la guerre commerciale pousse de nombreux électeurs nationalistes à appuyer les libéraux de Mark Carney à contrecœur, observe le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet. En table éditoriale avec Le Devoir, le chef bloquiste dit observer que les Québécois, particulièrement ceux qui ont vécu l’époque de la Révolution tranquille, « de nature plus inquiets et vulnérables », se tournent vers le chef libéral en raison de cette période d’incertitude. « J’ai l’impression que c’est un peu une rechute. Une rechute du coup de la Brink’s, une rechute des menaces lors de l’élection du gouvernement Lévesque, une rechute des menaces lors des référendums de 1980 et 1995 », témoigne-t-il. À dix jours du scrutin fédéral, les libéraux de Mark Carney sont en territoire de gouvernement majoritaire, selon de nombreux sondages. Au Québec, les appuis pour les libéraux fédéraux s’élèvent à 43 %, et ceux du Bloc québécois à 25 %, selon l’agrégateur de sondages Canada338. Les appuis bloquistes étaient toutefois beaucoup plus élevés pas plus tard qu’au début de l’année. Au moment de la démission de l’ancien premier ministre canadien Justin Trudeau, début janvier, les intentions de vote pour le Bloc québécois dans la province étaient beaucoup plus élevées, à 36 %, comparativement à 21 % pour les libéraux. « Il arrive que les gens soient craintifs, et tu poses moins de gestes révolutionnaires lorsque tu es craintif. Je ne crois pas du tout que soudainement, les Québécois ont développé un attachement pour la construction nationale canadienne », lâche M. Blanchet. Plusieurs de ses candidats lui ont d’ailleurs fait part de cette tendance observée sur le terrain. Le discours voulant que l’électeur « vote avec sa tête plutôt qu’avec son cœur » résonne désormais aux quatre coins de la province. Au point que le chef bloquiste soupçonne un « spin » orchestré par le Parti libéral. « J’ai tellement entendu ces mots-là exactement, partout au Québec. Je me suis dit que ça ne tombait pas du ciel », note-t-il. « C’était un argument libéral qui roulait beaucoup dans les résidences pour personnes âgées. C’est ce que je comprends. Je ne peux pas le prouver, mais c’est tellement évident [puisque] ça a [surgit] tout d’un coup », poursuit-il. Le vent tourne Ce narratif, qui émerge dans un contexte électoral tout particulier, force Yves-François Blanchet à faire campagne différemment. Le chef raconte être beaucoup plus actif avec ses candidats qui cognent aux portes pour avoir le pouls des électeurs. Yves-François Blanchet dit toutefois avoir confiance que le vent tournera à l’approche du scrutin. Le message que son parti martèle sur le terrain est clair : le Québec « peut s’additionner à la vision canadienne sans renoncer à ce que le Québec a de différent ». Un discours qui, selon lui, commence à faire son chemin chez les électeurs inquiets. « Je pense que ce message se rend de plus en plus aux gens », affirme-t-il. « C’est fini l’époque où, quand les Québécois ont peur, ils vont se réfugier en arrière d’un Anglais. Les Québécois ont réalisé plus en 60 ans qu’à peu près n’importe quelle autre nation occidentale […] Ça devrait suffire à nous donner confiance dans notre capacité d’être un partenaire face à Donald Trump. » Photo: Adil Boukind Le Devoir Être partenaire avec le Canada Si la guerre commerciale de Donald Trump a complètement redéfini l’enjeu principal des élections, elle a aussi forcé la formation souverainiste à Ottawa à se présenter autrement aux électeurs. Le chef bloquiste se présente maintenant comme un « partenaire et allié » du Canada dans les négociations avec les Américains. « Le Québec peut, sous réserve d’être traité en égal et respecté pour sa différence, notamment économique, être un bon partenaire », argue-t-il. C’est cet argument qu’amène Yves-François Blanchet pour demander une forte délégation bloquiste à Ottawa. Plus leur nombre sera élevé, plus il aura de pouvoir dans la négociation pour « imposer la volonté québécoise », assure-t-il. Les ministres libéraux québécois, comme la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, ou le ministre des Finances, François-Philippe Champagne, n’auront, malgré leur statut au sein du parti, pas de grande influence pour les intérêts du Québec, croit-il. « Les députés québécois vont prendre leur trou. J’ai moi-même été ministre dans un gouvernement. Les ministres font juridiction dans ce qui n’intéresse pas le premier ministre. Dès que le premier ministre s’intéresse à quelque chose, c’est terminé. Tu t’assois au bout de la table et tu prends tes ordres de marche. » Même s’il considère que M. Carney et lui sont aux antipodes sur le spectre politique, Yves-François Blanchet dit qu’il ne lui « paraît pas impossible » de faire affaire avec le chef libéral et d’entretenir des conversations « rationnelles ». Partir ou rester ? Qu’adviendra-t-il de son avenir comme chef, si son parti perd des sièges au terme du scrutin du 28 avril ? Le chef bloquiste ne se prononce pas sur un nombre de sièges ni sur le pourcentage de vote populaire pour déterminer la suite des choses. Ce sera aux partisans du Bloc de se prononcer sur son avenir. « Si jamais je sens un consensus au sein des membres ou au sein du caucus du Bloc québécois, je ne “martine-ouelletrai” pas », lâche-t-il avec un sourire en coin. « Si le monde pense que je suis la bonne personne, je vais être honoré de le faire, parce que j’ai encore énormément de passion pour faire ça. »