Marka en tournée des villages : “La scène, c’est mieux que n’importe quel antidépresseur”

Depuis quelques semaines, Marka (Serge Van Laeken de son vrai nom) est à nouveau sur les routes des villes et villages de Belgique et de France. En compagnie du guitariste Tony La Monica, il présente notamment son dernier album, Appelez-moi Serge. Dix nouveaux titres éclectiques (plus une reprise de Reine et Roi, la suite de Caroline de MC Solaar) qui parlent pêle-mêle de vieillesse (Comme le dit Orelsan), de son pote Cisse mort à l'âge de 29 ans (Un ange), de sa maman Nelly (Ma mère et Pour elles) ou de son chien Patapouf (Je suis un chien). Le tout est commenté dans un livre éponyme, avec une quantité d'anecdotes parfois tragiques, souvent drôles… Marka, comment est née l'idée de sortir un disque et un livre en même temps ? L'idée est venue quand j'ai réédité mon précédent livre Terminé Bonsoir, qui était un recueil d'anecdotes. Mon éditeur m'a proposé d'y intégrer des QR codes. Je me suis dit que ce serait une bonne idée pour le prochain album : chaque chanson aurait sa petite anecdote. Cela signifie que chaque chanson a sa petite histoire associée. Cela a changé votre façon de travailler ? Pas spécialement. En réalité, j'avais juste envie d'avoir un objet à vendre à la fin du concert. Avant, c'étaient des CD. Mais aujourd'hui, ça se vend moins… Alors je me suis dit : pourquoi pas un livre ? Ça donne un complément à la chanson. Une fois que j'avais terminé la rédaction, il me restait encore des anecdotes, j'ai donc prolongé avec quelques autres morceaux. C'était un exercice très agréable à faire. Et j'espère que c'est aussi agréable à lire. Je n'ai pas la prétention d'être écrivain, j'écris comme je parle, avec un peu d'autodérision pour rendre ça léger… Dans l'intro du livre, vous dites que quand vos enfants Roméo Elvis et Angèle vous demandaient des histoires avant d'aller dormir, c'était vite plié… Vous vous êtes découvert des talents de conteur ? Oui. Et je crois que ça a été encouragé par deux choses : le spectacle Marka se reprend, où j'ai pris beaucoup de plaisir à raconter des histoires entre les morceaux. Et puis, ma femme (NDLR : Laurence Bibot) m'a dit : "Tu racontes bien les histoires." Comme c'est son métier, je me suis dit que ce n'était pas juste parce que j'étais son mari (rires). Dans "Comme le dit Orelsan", vous évoquez l'âge qui avance. C'est une angoisse ? La vieillesse en soi, non. Je trouve qu'on peut y voir plein de choses positives. Par contre, ce qui me tracasse, c'est le temps qui passe, le fait qu'un jour, je ne serai plus là. Si vous regardez l'espérance de vie d'un homme en Belgique, ça doit être 81 ou 82 ans… J'en ai 63. Ça approche. Il vous reste encore au moins vingt ans… D'accord. Mais vous croyez qu'à 73 ans, j'aurai encore l'énergie de faire ce que je fais ? Est-ce que j'aurai encore la force de monter sur scène ? Moi, j'ai besoin d'occuper mes journées. Il faut fatiguer la bête. Et la bête, elle ne se fatigue pas en lisant des livres, malheureusement… Pour cette chanson, et pour la suivante aussi, intitulée "Heureux", vous avez réalisé des clips… C'est un exercice particulier et ça me stimule. Mais faire un bon clip, ça demande des moyens. Faut pas croire que les clips à 5 balles tiennent la route. Les télés ne les prennent pas. Et sur Internet, on veut du brillant, des lumières, des effets… Si tu mets un clip de Marka à côté d'un clip d'Angèle… bon, tu vois quoi. Alors, j'ai décidé de me moquer de moi-même en jouant un mec qui cherche une idée pour un clip… Dans ce livre, vous réparez aussi une injustice : quand on évoque le rap belge, on oublie de vous citer. Pourtant, vous aviez formé le groupe Bla Bla Bla en 1987 avec Riton Liebman et Philippe Résimont…, soit deux ans avant Benny B ! (rires) C'était avant Benny B ? Je ne sais pas. À l'époque, c'était une blague ! C'était inspiré des Beastie Boys à mort. Et je n'étais pas convaincu, ni par la chanson ni par l'enregistrement. Mais c'est un chouette souvenir ! Il est aussi beaucoup question d'amitié. Avec vos auteurs (Riton Liebman, Jacques Duvall, Thierry Robberecht) mais aussi avec MC Solaar, que vous avez rencontré au début des années 90. Solaar, c'est quelqu'un d'énigmatique. Il est incroyablement intelligent mais il vit dans un monde parallèle. Là, ça fait des mois que je n'ai plus aucune nouvelle de lui. Mais qui sait, j'en aurai peut-être demain. Je crois que les gens qui ont eu de gros succès mènent des vies qui, pour les autres, sont des drôles de vies parce que ce sont des gens qui doivent gérer mille et une choses auxquelles nous ne sommes pas habitués. Ils doivent se protéger et se faire discrets. En 2004, vous aviez écrit avec lui la suite de "Caroline", intitulée "Reine et Roi". Pourquoi la reprendre avec un nouvel arrangement sur cet album ? Je l'ai chantée à mon tourneur français, qui m'a dit : "Attends, c'est géant, l'histoire est géniale, il faudrait que tu la mettes sur ton album." Comme la version originale était "mort-née" à l'époque – le label avait fait faillite deux semaines après la sortie de l'album – il m'a dit qu'il fallait lui donner une deuxième chance. Donc je l'ai refaite. Et je trouve que l'arrangement de Pierre Ducaju, qui est mon réalisateur artistique, est chouette. Elle a une belle dynamique. Au rayon des amitiés évoquées dans le livre, il y a celle avec Francis Fabré, alias Cisse, un copain d'enfance avec qui vous aviez de nombreux points communs et pour qui vous avez écrit "Un ange"… Cisse et moi, on avait deux mois de différence : il était né en juillet, moi en mai. Nos pères se connaissaient, allaient ensemble au foot, au bistrot… Des castards, pas forcément tendres, surtout avec nos mères. La grosse différence, c'est que mon père ne m'a jamais levé la main dessus. Ce n'était pas le cas de Francis. Il vivait avec un père qui, de temps en temps, lui foutait des claques. J'ai écrit cette chanson parce qu'on se demande souvent pourquoi certains gars n'ont peur de rien. La réponse est simple : ces mecs-là, ils ont pris des claques en étant mômes. Alors ils foncent, ils se bagarrent comme des fous. Francis, c'était ça. C'était terrible. Il est mort à 29 ans. L'anecdote que vous racontez avec lui et les chauffeurs de taxis est terrible. Cela a failli mal tourner ! Oui ! Là j'ai vu ma dernière heure arriver. Mais pour savoir comment ça se termine, il faut lire le livre ! (rires) Vous parlez aussi beaucoup de votre maman. Il y a "Ma mère" mais aussi "Pour elles", la chanson sur les femmes battues… Je pense souvent à elle. Dans "Ma mère", vous chantez : "Elle est super. Faudrait que je lui dise avant qu'elle ne quitte la terre". Elle est décédée en 2023. Vous avez pu le faire ? Oui, je lui ai dit. Mais je ne suis pas sûr qu'elle l'ait compris ou accepté. On a eu beaucoup de difficultés, elle et moi. J'ai été élevé par mes grands-parents, et elle me reprochait de ressembler à mon père – ce qui est vrai, physiquement et dans le côté amuseur public. Mais moi, je n'ai jamais levé la main sur une femme, je ne bois pas… À la fin de sa vie, je lui ai chanté cette chanson à l'hôpital. Elle a mal réagi. C'est comme ça. Il y a des choses dans la famille qu'on ne peut pas réparer. Nelly, alias Mamy Pilou, était devenue plus célèbre que vous après son apparition dans le documentaire sur votre fille Angèle diffusé sur Netflix. Et elle est devenue presque plus connue que vous à un moment ? (rires) C'est vrai… Parfois, ma vie me dépasse ! Mais être connu, ça ne veut rien dire. Sauf que dans ce métier, il faut l'être un peu pour que ça marche. Mais ce n'est pas parce qu'elle est passée à la télé française que ça l'a transformée. Dans "Pour elles", vous évoquez aussi le drame des femmes battues, et des enfants qui servent parfois de protection. Vous avez aussi eu ce rôle-là ? Oui. Mais malgré moi. C'est ma mère qui venait me chercher chez mes grands-parents. Moi, j'y allais pour lui faire plaisir. Une fois là-bas, il ne se passait rien. Mais imaginez la pression que je ressentais : on me donnait un rôle d'adulte, alors que j'étais un enfant. Juste avant cette chanson, il y a une chanson dédiée à votre chien, Patapouf… Oui, c'est le chien de Laurence. Au départ, je n'aime pas les chiens. Et puis, on a eu Poulette, pour qui j'avais écrit une chanson en 2021. Et là, une fois les enfants partis de la maison, Laurence a adopté Patapouf. Et je suis devenu dingue de ce chien. Il a eu droit à deux chansons, dont une se trouve sur l'album. Depuis 2023, vous vous êtes lancé dans une tournée des villages. C'est économiquement viable ? Ça dépend. Mais je vis avec peu. Je calcule. Mais être sur scène, voir les gens, vivre avec les musiciens, rien ne vaut ça. C'est mieux que n'importe quel antidépresseur. Grâce à ces concerts, toute la semaine je suis de bonne humeur. Ça n'a pas de prix. Il va y avoir une quarantaine de dates cette année. Pour le plaisir. Comment se déroule le concert ? Le concert est en deux parties. On commence en duo avec Tony, comme pour l'album. Puis arrivent mon contrebassiste et Pierre Ducaju au clavier. À La Sucrerie, à Wavre, ce 23 avril, ce sera un peu particulier puisqu'on sera six sur scène, avec deux violonistes. La mode est aux tournées en famille : il y a eu les Chedid, puis les Dutronc et maintenant les Souchon. On pourrait un jour voir les Van Laeken ensemble sur scène ? Ce n'est pas à moi qu'il faut poser la question. On est une famille de musiciens, mais on ne fait pas de musique ensemble, on n'est pas un clan musical. C'est vrai qu'Angèle a été ma claviériste, mais pour savoir si elle en garde un bon souvenir, faut lui demander. Dernière question : en 2023, on vous avait vu dans la série "Fils de…" sur la RTBF. Il n'y a pas eu de suite, d'autres demandes pour un rôle… Non, je n'ai pas eu de suite et quelque part, je m'en fous, parce que je n'ai jamais rêvé de faire ça. Mais j'ai justement revu quelques images ce matin et je me suis dit que c'était quand même chouette. Mais on ne peut pas tout avoir… Marka, "Appelez-moi Serge", Daring Music et Éditions Lamiroy. Toutes les dates de la tournée de Marka sur www.marka.be On l'a dit, Marka s'épanche sur de nombreux souvenirs dans son livre. On y apprend son aversion pour l'émission Frou-Frou et Christine Bravo dans les années 90… Et il n'y va pas avec les dos de la cuillère. "À l'époque, elle me rendait dingue. Je ne pouvais pas la blairer. Mais ce n'est pas parce que je le pensais que j'avais raison. Je raconte juste ce que j'ai ressenti. Si je la recroisais aujourd'hui, peut-être qu'on deviendrait amis. Mais à l'époque, elle me sortait par les yeux." Quant à Zazie, il l'a croisée une fois de façon maladroite. Et s'interroge toujours sur la similitude thématique entre Tout le monde de Zazie et sa chanson Accouplés sortie quelque temps avant. "Je me suis posé des questions… J'ai aussi eu le cas avec ma chanson L'idiomatic et Ma liberté de penser de Florent Pagny. Ce sont des potes qui m'avaient appelé pour me le dire. Au départ, je ne voyais pas. Et puis finalement, c'est vrai qu'il y a un moment où c'est proche. Mais bon, moi aussi j'ai été influencé…"