Raoul Peck réhabilite la mémoire d'Ernest Cole, photographe oublié de l'apartheid
Huit ans après le succès de "I am Not Your Negro", le cinéaste haïtien Raoul Peck présente "Ernest Cole: Lost and Found", un documentaire consacré à ce photographe sud-africain qui a été le premier à exposer les horreurs de l'apartheid. A voir depuis le 16 avril dans les cinémas romands. Né à Port-au-Prince en 1953, Raoul Peck a grandi entre le Congo et Brooklyn, aux États-Unis, ses parents ayant fui la dictature. Ancien ministre de la Culture à Haïti, il a réalisé "Lumumba" ou encore "Le jeune Karl Marx", des films de fiction. Mais on lui doit aussi des documentaires dont le puissant "Exterminez toutes ces brutes", un film en quatre parties sur l'histoire de la violence. Après "I am Not Your Negro" (2016), long métrage sur l'écrivain James Baldwin, nommé aux Oscars et couronné du César du meilleur documentaire, le cinéaste haïtien revient avec "Ernest Cole: Lost and Found". Ce photographe sud-africain a été le premier à exposer les horreurs de l'apartheid dans un unique livre, publié en 1967 en exil à New York, à l’âge de 27 ans. Dans ce nouveau documentaire, qui a été montré en avant-première lors du récent festival Visions du Réel de Nyon et dans le cadre de l'actuelle rétrospective Raoul Peck de la Cinémathèque Suisse de Lausanne, le cinéaste réhabilite la mémoire de cet artiste oublié. Il lui donne voix pour raconter l'errance et les tourments qui ont suivi cette célébrité éphémère - le photographe est mort aux Etats-Unis dans la misère et l'oubli à l'âge de 50 ans -, en explorant ses 60'000 négatifs retrouvés dans une banque suédoise en 2017. Contenu externe Ce contenu externe ne peut pas être affiché car il est susceptible de collecter des données personnelles. Pour voir ce contenu vous devez autoriser la catégorie Réseaux sociaux. Plus d'info Un sujet qui résonne avec l'actualité Archives, écrits et interviews de personnes ayant croisé la route d'Ernest Cole jalonnent ce documentaire et racontent le succès, puis le déclin du photographe. Le destin a mis les clichés d'Ernest Cole sur la route de Raoul Peck quand ce dernier avait seize ans: "J'étais en Allemagne pour étudier et à l'époque, on se servait de ces photos dans le combat anti-apartheid. Berlin était une ville très politisée. L'ensemble des mouvements de libération avaient leur antenne à Berlin, donc on utilisait beaucoup ces photos-là parce que c'étaient les premières qui documentaient la réalité du quotidien des Sud-Africains noirs", indique le cinéaste dans le 12h45 du 8 avril. Le film "Ernest Cole: Lost and Found" raconte plus que le seul destin du photographe: "Il faut contextualiser une époque. Il faut qu'il y ait un aspect organique aussi par rapport à ma propre vie, parce que je ne peux parler que des choses que je connais. Cette histoire du combat anti-apartheid, je l'ai vécue de jeune homme à l'âge adulte, jusqu'à la libération de Mandela". L'une des conditions du cinéaste pour faire un film, c'est aussi que son sujet résonne avec l'actualité, le monde d'aujourd'hui. "Comme on le sait aujourd'hui, nous sommes dans un moment très dangereux", souligne Raoul Peck. Ernest Cole, victime de l'exil Malgré l'influence d'Ernest Cole, le photographe est tombé dans l'oubli. "C'était une époque difficile. Etre Sud-Africain, noir, même dans une ville cosmopolite comme New York, à une époque où les Noirs américains eux-mêmes n'étaient pas forcément reconnus alors qu'ils existaient... Il n'y avait pas beaucoup d'artistes noirs américains reconnus. Lui était d'abord en exil et sa patrie en train de brûler. Il s'est retrouvé déchu de sa nationalité, sans passeport, il se retrouve donc apatride. L'exil est quelque chose qui peut vous détruire", précise le cinéaste qui a lui aussi connu l'exil - moins destructeur - et a grandi dans différents pays. Propos recueillis par Julie Evard Adaptation web: Lara Donnet