Avril est le mois de la sensibilisation à l’autisme. Selon Caroline Gelly, intervenante communautaire pour l’organisme Autisme Estrie, «il y a beaucoup de sensibilisation à faire. Pour les gens, l’autisme, c’est soit l’image d’un génie ou l’image d’une personne en crise.» Le génie, c’est souvent le portrait qui est fait dans les films ou les séries. Pour les plus vieilles générations, on parlera du cliché «Rain Man», en lien avec le personnage Raymond Babbitt du film Rain Man, sorti en 1988. Pour les gens de cette époque, c’était le premier personnage autiste sur grand écran – bien que ce serait plus le syndrome du savant que de l’autisme. Ce film a répandu ce cliché que derrière les freins sociaux et les difficultés d’adaptation se cacheraient des génies à l’intelligence supérieure. Ce cliché a été repris, entre autres, dans l’adaptation de Sherlock Holmes avec l’acteur Benedict Cumberbatch, diffusée dans les années 2010. S’il peut arriver que des personnes autistes aient une grande facilité avec les mathématiques ou les sciences, c’est loin d’être un automatisme. L’un n’implique pas l’autre. Quant à l’autre cliché, les crises impossibles à gérer, le cinéma a aussi tendance à exagérer cette réalité, même si ça existe. C’est l’absence de nuances entre les deux qui dérange. On parle du spectre de l’autisme, parce que ça concerne plusieurs réalités. La musicienne et autrice Stéphanie Boulay a reçu à 35 ans un diagnostic de neurodivergence. (Simon Séguin-Bertrand/Archives Le Droit) Heureusement, des personnalités publiques comme Réal Béland, Louis T ou Stéphanie Boulay aident à briser ces clichés. «Ils permettent de démontrer que c’est un spectre très large», souligne Caroline Gelly. Encore plus lorsque ceux-ci documentent leur propre cheminement, comme Louis T, dans son documentaire Apprenti autiste, et Stéphanie Boulay, qui anime le balado Apparaitre: la neurodivergence invisible, sur son diagnostic tardif. Sur les réseaux sociaux, plusieurs personnes autistes racontent aussi leur quotidien, leurs enjeux, leurs réflexions et participent à l’éducation populaire. Ou des parents, sur la réalité de leur enfant, comme Guylaine Guay ou Pierre McCann. L’organisme Autisme Estrie aussi participe à la déconstruction des mythes, en rencontrant des services policiers, des classes, des milieux de travail. D’ailleurs, les organisations ou entreprises peuvent contacter l’organisme pour avoir leur visite. Quête de sens Tout ça contribue à défaire les mythes et à rendre concret une réalité qui peut être plutôt abstraite. Et quelquefois, des gens se reconnaissent, s’interrogent et vont chercher des diagnostics. Les gens sur le spectre de l'autisme peuvent se sentir en décalage avec le reste de la société. (Tai/123rf) On observe une augmentation des diagnostics. Chez les enfants, d’une part, parce qu’on détecte beaucoup plus jeune qu’avant. Puis chez les adultes, qui tentent de comprendre ce qu’ils vivent. «Le diagnostic va souvent les apaiser, raconte Caroline Gelly, mais ça peut aussi venir avec une frustration de ne pas l’avoir eu avant.» Parfois, ça s’accompagne d’une profonde remise en question, d’une période d’adaptation. Lorsque le diagnostic survient à l’âge adulte, ces personnes ont souvent élaboré plusieurs stratégies pour ne pas s’épuiser, pour passer inaperçues, de manière inconsciente. Le diagnostic peut donc s’accompagner d’un travail de déconstruction, différencier ce qui vient d’une copie sociale ou de la volonté de la personne. «Ça peut venir avec un arrêt de travail, explique l’intervenante, ça peut être très vertigineux de tout réévaluer sa vie.» La notion de l’épuisement n’est pas anodine. Pour bien du monde, les interactions sociales, ça nourrit, ça fait du bien, comme un poisson dans l’eau. Pour plusieurs personnes autistes, les interactions sociales, ça ressemble davantage à devoir monter une montagne sur un sentier rocheux avec un vélo qui a deux crevaisons et le vent dans face, c’est excessivement épuisant et pas du tout ressourçant. Il existe d’ailleurs ce qu’on appelle des «burn-out autistiques», qui peuvent survenir lorsqu’il y a un trop-plein émotionnel à gérer ou une overdose de socialisation, entre autres. Quand une personne autiste traverse toutes ces tempêtes sans comprendre d’où ça vient, ça peut être dangereux. D’autant plus que les personnes autistes ont du mal à reconnaitre leurs propres difficultés qu’elles vivent et à comprendre quel soutien elles pourraient avoir. Quand elles obtiennent de l’aide, ça vient souvent avec un «avoir su!». Autodiagnostic Le hic, c’est qu’avoir un diagnostic, ce n’est pas si facile. Sans surprise, les délais d’attente dans le service public peut être très long – des années –, mais même au privé, ça peut aussi prendre plusieurs mois. Régulièrement, les rares cliniques qui font ces dépistages affichent complet pour des mois. Sans parler du coût qui n’est pas à la portée de tous les portefeuilles. On observe donc de plus en plus d’autodiagnostic. Un sujet délicat, selon Caroline Gelly. Ça peut être positif, mais aussi dangereux. «Si c’est une personne âgée qui se reconnait et que ça lui fait du bien de mieux se comprendre, c’est bien», explique l’intervenante. Le hic, c’est que certaines personnes auraient peut-être besoin de soutien ou d’accompagnement, sans qu’elles s’en rendent compte. «Quand ce sont des gens qui ne sont pas autistes, mais qu’eux préfèrent se donner ce diagnostic plutôt qu’un autre, comme un trouble de la personnalité limite, ça peut être dangereux», avertit Caroline Gelly. Les gens avec un trouble de la personnalité limite, par exemple, ont tendance à manipuler les autres. Un mauvais diagnostic peut avoir de terribles conséquences. Les gens peuvent se nuire à eux-mêmes. En plus, ça peut engorger le système de santé si les mauvais services sont donnés ou exigés. Sous-financement Jusqu’ici, j’ai parlé des situations d’adultes autonomes. Plusieurs adultes autistes ne sont pas autonomes. Et ça aussi, c’est un enjeu important. Parfois ils vivent chez leurs parents qui ont plus de 70 ans et qui n’ont plus la capacité de s’en occuper. Les CHSLD ne sont pas adaptés pour eux et il n’y a pas de familles d’accueil. D’où l’importance des maisons de la fondation Véro et Louis, conçues pour ces personnes. «Il en faudrait dans toutes les régions», lance l’intervenante. Mais ça resterait insuffisant. Sans surprise, les milieux scolaires ne sont pas adaptés non plus. «Le système n’est pas fait pour les enfants qui sortent du moule, que ce soit l’autisme ou le TDAH», déplore Caroline Gelly. Dans certains cas, les enfants doivent demeurer à la maison et le gouvernement considère que quatre heures de scolarisation par semaine sont suffisantes. Les services pour les jeunes autistes dans les garderies, les camps de jour ou les écoles sont souvent inadaptés ou absents. (Antonio Diaz/Antonio Diaz) Le gouvernement n’offre pas le soutien que cette population – et leur entourage – devrait avoir. Autisme Estrie reçoit des demandes de CPE pour les aider à adapter leur service, mais c’est leurs initiatives, pas celle de l’État. Derrière ce manque de services, il y a beaucoup de souffrance, beaucoup de désespoir. Des parents qui doivent changer leur enfant d’école, encore, qui ne peuvent compter sur des camps de jour pour souffler ou sur le système de santé qui n’a ni les moyens ni les expertises pour les soutenir. Le mois de sensibilisation de l’autisme sert souvent à faire de l’éducation populaire, à témoigner. C’est important. Pour la population générale, mais aussi pour le gouvernement qui manque de sensibilité, de compréhension et de services. Comme le souligne Caroline Gelly, «il y a encore beaucoup à faire.» Pour réagir à cette chronique, écrivez-nous à opinions@latribune.qc.ca. Certaines réponses pourraient être publiées dans notre section Opinions.