Pink Elephant marque le retour d’Arcade Fire, trois ans presque jour pour jour après la parution de WE et aussi après les allégations d’inconduites sexuelles contre son chanteur, Win Butler. Plus centré que jamais sur le couple et le tandem de songwriters qu’il forme avec Régine Chassagne, ce disque évoque à la fois des tempêtes personnelles et une quête de rédemption. Le son de synthé qui s’impose au début d’Open Your Heart or Die Trying, morceau instrumental qui ouvre Pink Elephant, évoque celui d’une sirène d’alarme. Aucun danger ne guette la personne qui met l’oreille aux 10 chansons rock intimistes que renferme ce disque. L’avertissement tient néanmoins la route : cet album évoque les secousses sismiques intérieures qui semblent avoir brassé le couple Chassagne-Butler et peut-être aussi des sentiments contradictoires, parfois inconfortables. Aucune chanson n’aborde directement les allégations à l’endroit de Win Butler voulant qu’il ait abusé de son statut pour profiter de jeunes femmes. Il est toutefois difficile de ne pas y penser lorsqu’on écoute des morceaux comme Pink Elephant (où la guitare fait penser au premier disque d’Interpol) ou Circle of Trust, où il est notamment question d’amours branlantes. Le couple semble avoir passé un mauvais quart d’heure. C’est peut-être d’ailleurs la raison pour laquelle ce disque regarde moins à l’extérieur qu’à l’intérieur. Year of the Snake, pièce de résistance du disque, pose les choses clairement : le titre réfère à l’année du Serpent qui, en astrologie chinoise, marque une année de transformation et de défis, mais qui serait aussi un symbole de sagesse et de maturité. D’où cette quête d’authenticité, cette espèce de volonté de mise à nu presque thérapeutique, qu’on sent dans le disque. « Season of change / If you feel strange / It’s probably good », chante Win Butler au refrain. Arcade Fire – Year of the Snake 0:00 0:00 Couper le son Ce sentiment d’étrangeté, on peut légitimement le sentir comme auditeur, en écoutant un chanteur à qui ont été reprochés des abus, mais qui n’a jamais été accusé, et sa partenaire qui l’a défendu et soutenu. La présomption d’innocence existe. Le droit de croire d’abord les victimes alléguées aussi. L’art n’a rien à voir là-dedans. Pour aimer Pink Elephant, il faut faire le deuil de ce groupe incandescent qu’on a cru sans tache. Faire le deuil, aussi, des fantastiques élans collectifs portés par les chœurs qui, de Funeral à The Suburbs, nous ont tant emballés. Il faut se laisser transporter par ce rock souvent poussé par une pulsation électronique, où la tension est la plupart du temps retenue et nourrie par des ambiances tissées par des synthés. Il faut avoir envie de danser sur des airs qui, eux, dansent sans joie. Oui, ces morceaux réalisés par Régine Chassagne, Win Butler et le très respecté Daniel Lanois témoignent d’un songwriting de haut niveau. On ne doute pas une seconde que des chansons comme Stuck In My Head, Year of the Snake et Alien Nation vont marcher à fond sur scène. Il y a malgré tout, en ce qui me concerne, quelque chose de brisé avec Arcade Fire. Arcade Fire – Pink Elephant 0:00 0:00 Couper le son Pink Elephant, choisi comme titre du disque, évoque ce principe psychologique selon lequel il suffit de dire à quelqu’un de ne pas penser à une chose – un éléphant rose, par exemple – pour que cette chose s’impose à son esprit. L’image qui s’impose quand je pense à Arcade Fire ne suscite malheureusement plus d’enthousiasme chez moi. J’imagine que je ne serai pas la seule personne qui aurait voulu continuer à aimer ce groupe emblématique, mais qui n’apposera pas de cœur sur ce disque dans son profil en ligne.