Chaque semaine, nous explorons les solutions à notre disposition pour avoir une incidence sur la crise climatique et environnementale. « Sur les réseaux sociaux, je vois passer des figurines virtuelles (starter packs), générés par l’intelligence artificielle. Est-ce que créer ce genre d’images a un fort impact environnemental ? », demande Émilie. Si vous lui fournissez votre nom, une image de vous et deux ou trois objets qui vous caractérisent, en quelques secondes, ChatGPT créera une image d’une figurine de vous-même accompagnée de tous ses accessoires, semblable à un jouet qu’on pourrait trouver dans un magasin. IMAGE TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE BRUNO MARCHAND Figurine virtuelle du maire de Québec, Bruno Marchand Ces images générées par intelligence artificielle (IA) ont envahi la Toile au début du mois d’avril, dans la foulée de celles imitant le style des studios Ghibli – le studio japonais à l’origine des films d’animation Mon voisin Totoro, Princesse Mononoké ou encore Le voyage de Chihiro. Lisez l’article « ChatGPT désormais capable de créer des images inspirées du Studio Ghibli » Ces tendances ont été poussées par OpenAI, l’entreprise derrière ChatGPT, pour montrer tout le potentiel de sa nouvelle fonctionnalité pour générer des images. Et ça marche. Début avril, en seulement 48 heures, plus de 700 millions d’images ont ainsi été générées par plus de 130 millions d’utilisateurs, selon le numéro deux de l’entreprise, Brad Lightcap. En réaction, des dessinateurs et des illustrateurs ont protesté en publiant en ligne des starter packs réalisés sans IA, avec le mot-clic #StarterpacknoAI. Et plusieurs personnalités ont également commencé à tirer la sonnette d’alarme sur l’impact environnemental de ces tendances. « Derrière la magie, il y a une réalité qu’on oublie souvent de regarder : le coût environnemental de ces technologies », a notamment écrit l’astronaute français Thomas Pesquet sur ses réseaux sociaux. Depuis, plusieurs articles ont été publiés dans les médias, évoquant le nombre de litres d’eau utilisés pour refroidir les serveurs pour générer chaque image, la quantité d’électricité consommée par ceux-ci, ou la quantité de gaz à effet de serre générés. Mais dans les faits, « on ne peut pas vraiment estimer l’impact d’une telle tendance », souligne Sasha Luccioni, responsable climat chez Hugging Face, une plateforme qui souhaite démocratiser l’intelligence artificielle grâce à des technologies en libre accès. Un impact très difficile à estimer L’experte a publié en juin dernier un article estimant la consommation d’énergie de modèles d’intelligence artificielle générant du texte ou des images. Les plus énergivores étaient de loin ceux qui généraient des images. Le pire requérait l’équivalent de la moitié de la charge d’un téléphone cellulaire pour produire une seule image ; et générer 1000 images revenait à émettre 1,6 kg d’équivalent CO 2 – soit environ 7 km parcourus en voiture. Il s’agit néanmoins d’une étude réalisée sur des modèles ouverts, qui peuvent être téléchargés et testés par les chercheurs – ce qui n’est pas le cas de ChatGPT, qui se base sur un modèle dit « fermé », donc complètement opaque pour ceux qui souhaitent en évaluer les performances. « Mais comme il génère des images d’assez haute qualité, on peut imaginer qu’il se situe plutôt sur la partie haute du spectre. C’est probablement un très grand modèle qui est utilisé de façon sous-jacente », avance la chercheuse. La quantité d’énergie requise pour générer un starter pack pourrait donc être le double, le triple ou le quintuple de ce qu’elle a trouvé pour des modèles ouverts – voire plus. « C’est impossible de le savoir, puisqu’ils ne disent pas comment fonctionne leur modèle, sur quelle quantité d’images ils l’entraînent, etc. », déplore Sasha Luccioni. Même chose pour la consommation d’eau utilisée par les serveurs, ou pour la quantité de gaz à effet de serre générés. IMAGE TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE MARIE-CLAUDE BARRETTE Figurine virtuelle de l’animatrice de télévision Marie-Claude Barrette Une pente glissante Qu’il s’agisse d’une demi-charge de téléphone ou d’une douzaine, à l’échelle d’une seule image générée, cela peut sembler relativement peu. Mais quand on parle de centaines de millions de requêtes, comme pour ces tendances virales, cela peut représenter une quantité d’énergie colossale. « Et comme ces entreprises ne donnent absolument aucune information environnementale, les gens n’ont pas conscience du coût que ça représente », déplore Sasha Luccioni. À cause de ce manque de transparence de la part des géants du web, il est impossible pour tout un chacun de faire des choix éclairés vis-à-vis de son utilisation de l’IA – contrairement à l’utilisation de la voiture ou à la consommation de viande, pour lesquelles on peut calculer des ordres de grandeur de l’énergie, des gaz à effet de serre ou de la quantité d’eau qu’elles représentent. Aussi, ces ressources sont consommées « loin de nous », donc il est difficile de se rendre compte de cet impact. « Si on voyait la batterie de notre téléphone diminuer de moitié quand on génère une image, ça nous aiderait à réfléchir avant de le faire », souligne la chercheuse. Son conseil n’est pas nécessairement d’arrêter complètement d’utiliser des outils comme ChatGPT, mais plutôt de réfléchir à ce réflexe de systématiquement se tourner par défaut vers l’IA « pour tout et n’importe quoi ». « Les gens utilisent parfois ChatGPT au quotidien pour s’amuser et générer des images, pour chercher des idées de recette, pour répondre à des questions… ou même comme calculatrice », énumère la chercheuse. « Est-ce qu’on ne pourrait pas faire autrement ? »