Jean XII, le pape au comportement pas très catholique

Temps de lecture: 4 minutes «Les œuvres de la chair sont manifestes, ce sont l'impudicité, l'impureté, la dissolution, l'idolâtrie, la magie, les inimitiés, les querelles, les jalousies, les animosités, les disputes, les divisions, les sectes, l'envie, l'ivrognerie, les excès de table et les choses semblables. […] Ceux qui commettent de telles choses n'hériteront point le royaume de Dieu.» Hélas, les saintes paroles de l'apôtre Paul dans l'Épître aux Galates (5:19-21) ont été contredites par les frasques de nombreux souverains pontifes. En effet, rares ont été les papes à mener la vie de frugalité et de compassion prônée par le Nouveau Testament. C'est à l'aube du nouveau millénaire que la situation du Saint-Siège se trouve la plus dégradée. Au Xe siècle, corruption et népotisme règnent en maîtres au Vatican: des aristocrates parviennent à faire ordonner leurs enfants cardinaux moyennant un joli pot-de-vin (de messe), tandis que des papes financent leur train de vie luxueux en vendant des grâces ecclésiastiques. La liste officielle du Vatican dénombre pas moins de vingt-quatre papes durant ce seul siècle, preuve des mandats écourtés par la prison, le scandale… ou le meurtre (au moins trois d'entre eux sont morts assassinés: Étienne VII, Benoît VI et Jean XIV). Abonnez-vous gratuitement à la newsletter de Slate ! Les articles sont sélectionnés pour vous, en fonction de vos centres d’intérêt, tous les jours dans votre boîte mail. Valider La «pornocratie pontificale» Dans ses Annales ecclésiastiques (parues à la fin du XVIe siècle), le cardinal Caesar Baronius dresse un bilan accablant de la papauté de l'an mil. «Quel horrible aspect ne présentait pas alors la sainte Église romaine. […] On ne parlait plus de l'élection du clergé: les canons, les décrets des papes, les anciennes traditions, les rites sacrés étaient ensevelis dans le plus profond oubli; la dissolution la plus effrénée, le pouvoir mondain, l'ambition de dominer, avaient pris leur place.» Un puissant sénateur romain, Théophylacte Ier de Tusculum, contrôle alors l'élection suprême du pape, tant et si bien que ses filles placent leurs amants ou leurs enfants sur le trône de saint Pierre. Cette forme de népotisme est alors nommée «pornocratie pontificale» et a cours durant la première moitié du Xe siècle. Ce sont donc les courtisanes romaines qui font et défont les «vicaires du Christ». En 955, Octavien de Tusculum, l'arrière-petit-fils de Théophylacte, est poussé sur le devant de la scène: sur son lit de mort, son père a ordonné qu'il soit le prochain sur la liste. En dépit des traditions séculaires de l'Église catholique, qui défend ce type de pratique, son vœu est immédiatement exaucé. Élu pape dès son dix-huitième anniversaire, Octavien adopte le nom de Jean XII, un patronyme appelé à rester dans les mémoires. Les débuts de son règne (955-964) illustrent sa fougue adolescente. Quand il ne chasse pas, il déclare la guerre à des duchés italiens pour les ajouter à la constellation des États pontificaux. Mais la diplomatie n'est pas son point fort. Ses hormones ont d'autres projets. À en croire les chroniqueurs du temps, Octavien est un dépravé notoire et un prédateur sexuel. Rapportant les avertissements de l'évêque italien Liutprand de Crémone (920-972), l'historien britannique du XVIIIe siècle Edward Gibbon raconte qu'on empêcha «les femmes de se rendre en pèlerinage au tombeau de saint Pierre, où elles auraient bien pu, dans cet acte de dévotion, être violées par son successeur». Gravure sur cuivre représentant le pape Jean XII (955-964), réalisée par le dessinateur italien Giovanni Battista de' Cavalieri en 1580. | Bibliothèque municipale de Trente (Trentin) / domaine public via Wikimedia Commons Une crise de foi Certes, à l'époque, la norme pontificale n'est pas à la chasteté et les naissances illégitimes sont légion… Mais le zèle avec lequel Jean XII semble s'adonner à la chose lui vaut les reproches de l'empereur du Saint-Empire Otton Ier, qu'il a lui-même sacré en 962. «Vous avez été accusé non par un petit nombre de personnes, mais par tous les ecclésiastiques et par tous les laïques [sic], d'homicide, de parjure, de sacrilège et d'inceste, commis tant avec des femmes vos parentes qu'avec deux sœurs. Ils ajoutent, ce que l'on ne peut ouïr sans horreur, que vous avez bu à la santé du Diable et qu'en jouant aux dés, vous avez invoqué Jupiter, Vénus et les autres démons», détaille Otton Ier dans une lettre adressée à Jean XII en 963. Si l'accusation semble trop scabreuse pour être vraie, l'épilogue du mandat de Sa Sainteté Jean XII ne l'est pas moins. Tombé en disgrâce, le pape lubrique meurt le 14 mai 964, à l'âge de 28 ans. Selon la rumeur, il aurait été surpris dans les bras d'une amante par son cocu de mari, lequel l'aurait assassiné au pied du lit conjugal… À moins que l'intéressé ne soit lui-même mort d'une crise cardiaque en plein ébat. Les historiens n'ont pas tranché. Représentation de la mort du pape Jean XII, jeté par la fenêtre par le mari jaloux de sa maîtresse Stefanetta en mai 964. Dessin tiré du livre Misteri del Vaticano, de Franco Mistrali (1866). | Collection privée. / ©The Holbarn Archive / Leemage / Bridgeman Images via AFP Si l'on peut douter de la véracité de certaines de ces anecdotes, aujourd'hui invérifiables, le règne calamiteux des papes du Xe siècle aura une conséquence des plus concrètes au Moyen Âge. C'est pour restaurer l'autorité morale du Saint-Siège que sera amorcée, au milieu du XIe siècle, la réforme grégorienne. Désormais, les laïcs ne peuvent plus nommer les dignitaires religieux, ni les ecclésiastiques vendre des pardons… C'est également à cette époque que l'on impose, pour tempérer les abus de la chair, le célibat des prêtres. Ironiquement, il est aujourd'hui régulièrement pointé du doigt dans les scandales sexuels qui secouent périodiquement l'Église catholique.