En Suisse, des négociants d'or "itinérants" proposent d'acheter des bijoux à des prix "record". Une enquête de SRF Investigativ révèle des pratiques douteuses, entre pesées incorrectes, offres déroutantes et pressions exercées sur les clients potentiels. Actuellement, des négociants en or "itinérants" inondent la Suisse de tracts pour des "journées promotionnelles". Ils se proposent d'acquérir vos vieux bijoux en or qui traînent au fond des placards. En échange, ils promettent "de l’argent comptant", "des prix records" ou encore du "cash instantané". Une offre alléchante compte tenu du prix actuel record de l’or. Pour découvrir qui se cache réellement derrière ces tracts, des journalistes de la cellule enquête du média public alémanique SRF sont partis à la rencontre de marchands d’or. Et ce, sous couverture, en tant que clients, avec de l’or véritable et équipés de caméras cachées. Un reportage qui révèle les coulisses d'un monde rempli de manipulations et de mensonges. Elaboration du piège Deux colliers, trois bracelets, deux bagues et une paire de clips d'oreilles: 166 grammes d'or pur, pour une valeur, à ce jour, de 14'000 francs. C'est ce que les journalistes de SRF ont utilisé comme appât. La boite à bijoux prêtée à SRF Investigativ, d'une valeur de 14'000 francs environ. [SRF] Les bijoux sont un prêt de Patrick Huber, qui dirige depuis 33 ans une entreprise de négoce de métaux précieux à Aarau. "Chaque bijou porte un poinçon et est donc facilement reconnaissable comme authentique", explique-t-il. Avec ce système de marquage, un professionnel devrait tout de suite savoir à quels produits il a affaire. Et à quel prix décent il devrait les acheter. La cible des journalistes: l'entreprise "Pelz & Edelmetall Ankauf Temetra" ("Achat de fourrures et de métaux précieux Temetra"), basée à Olten (droit de réponse en encadré en bas de l'article). Fondée en février 2025, elle organise rapidement une "campagne d’achat" de six jours dans un magasin loué pour l'occasion. Ce vieil homme amical n'existe pas Selon le dépliant de l'entreprise, le marchand recherche de l'or, mais aussi des vestes en fourrure ("Pelz"). Les journalistes de SRF Investigativ acquièrent donc deux manteaux anciens, facilement trouvables dans une friperie pour une centaine de francs. Le dépliant en question, avec une photo d'un homme au téléphone retrouvée sur de nombreux autres tracts. [SRF] Le tract promotionnel présente la photo d'un homme âgé à l'air amical, laissant entendre qu'il serait le propriétaire. Mais cette même photo se retrouve sur plusieurs autres prospectus, avec des noms – Brandon ou Biela au lieu de Valentino –, des adresses et des numéros de téléphone différents. Un autre dépliant, avec autre numéro de téléphone, une autre adresse, un autre nom de propriétaire, mais une même photo de vieil homme avenant, et une même photo de boutique. [SRF] Finalement, une fois sur les lieux, dans la boutique d'Olten, à la place du vieux monsieur souriant, ce sont deux jeunes hommes en costume qui attendent les journalistes de SRF sous couverture. Pesées incorrectes et offres déroutantes Après avoir examiné brièvement les fourrures, le plus âgé des deux hommes, qui se charge des négociations, offre 2700 francs. Il pose des questions sur l'or et l'examine attentivement à la recherche de poinçons. Soudain, le marchand change de stratégie et ne veut plus rien avoir à faire avec les manteaux. "Malheureusement, vous avez apporté trop peu d'or pour le prix de 2700 francs." Il lui faut "au moins 200 grammes supplémentaires". Il demande alors d'aller chercher plus d’or à la maison. Lorsque les journalistes refusent, il engage une conversation confuse sur l’évolution du prix de l’or. Puis, il pèse les bijoux, tout en s'assurant de cacher l'affichage de la balance – une pratique interdite, selon Patrick Huber. Ensuite, il explique que les bijoux contiennent "des métaux, du plomb et du cuivre", et qu'il ne reste au total que "22,6 grammes d’or pur". Il n'offre que 2750 francs pour les bijoux et les fourrures. Pour rappel, les bijoux apportés par SRF correspondent à 166 grammes d’or pur et valent 14'000 francs. Argent comptant et effet de rareté Les journalistes, toujours sous couverture, rétorquent être surpris par le faible poids en or. Le négociant offre soudain 4150 francs, qu'il jette sur la table en billets de cent et de mille. Quand les journalistes feignent d'hésiter, le vendeur continue à mettre la pression. Il explique que c'est le dernier jour de sa campagne, et qu'il ne reviendra pas avant six mois. Une manipulation qui joue sur "l'effet de rareté", un biais cognitif qui nous pousse à accorder une plus grande valeur à une opportunité perçue comme limitée dans le temps. Les faux clients quittent alors l'échoppe. Le négociant, lui, reste bredouille. Le lendemain, retournés officiellement sur les lieux en tant que journalistes, les reporters de SRF confrontent un des deux revendeurs encore sur place. Il botte en touche, et dit que l’offre de la veille n’était pas une arnaque. Le client est "libre de l'accepter ou non". Meilleur prix uniquement pour de "beaux bijoux" Le dépliant dans lequel il est notifié que l'or est racheté à 90 francs le gramme. [SRF] Toujours sous couverture, les journalistes de SRF Investigativ tentent d'approcher un autre négociant. D'après son dépliant, l'entreprise "Gold-Chästli F. Zozerd" achète des bijoux dans un restaurant de Winterthour pendant quatre jours. "De l’or jusqu’à 90 francs le gramme", indique l'offre promotionnelle. Lors de l'examen du bijou le plus précieux de la collection de SRF, Frank Zozerd, le négociant, n'aurait pas trouvé le poinçon indiquant que la chaîne est en or véritable. Bien qu'il ait utilisé la loupe pour l'aider. Finalement, il offre 8000 francs pour huit bijoux. Cette somme représente, en proportion, seulement 55 francs le gramme au lieu des 90 francs promis sur le flyer. Le revendeur s'explique: "L’offre concerne uniquement les beaux bijoux. Plus personne ne porte les vôtres." Puis, lui aussi entraîne ses (faux) clients dans une conversation confuse sur le prix de l'or. Et avec lui non plus, l’écran de la balance avec laquelle il pèse les bijoux n'est pas consultable. Les journalistes quittent donc le restaurant. Le poinçon "750" identifie le bijou comme authentique. Apparemment, Frank Zozerd ne le voit pas malgré la loupe. [SRF] Confrontations physiques avec des journalistes À leur retour dans le restaurant de Winterthour en tant que reporters de SRF, un deuxième homme est sur place. Alors que le propriétaire Frank Zozerd propose gentiment de recalculer son offre, le deuxième homme exige avec véhémence que les journalistes quittent les lieux. Il finit par les repousser physiquement vers la sortie, avec l'aide de Frank Zozerd. Puis ils ferment la porte à clé. Devant le restaurant, un troisième homme bombarde les journalistes d'insultes et de menaces. Les deux autres hommes sortent du restaurant et font de même. Les journalistes quittent alors les lieux le plus rapidement possible. Contenu externe Ce contenu externe ne peut pas être affiché car il est susceptible de collecter des données personnelles. Pour voir ce contenu vous devez autoriser la catégorie Services Tiers. Plus d'info Au moment de la publication de l'article par SRF Investigativ, le média public alémanique n'avait pas reçu de réponse de Frank Zozerd aux multiples demandes écrites concernant l'incident et l'offre d'achat anormalement basse. Contenu externe Ce contenu externe ne peut pas être affiché car il est susceptible de collecter des données personnelles. Pour voir ce contenu vous devez autoriser la catégorie Services Tiers. Plus d'info Article original: Sonja Mühlemann, Simone Rau, Philippe Odermatt (auteurs), Nadine Woodtli (productrice), Christian Schürer (gestion de projet) Adaptation française: Julien Furrer (RTS)