À l’échelle de la Méditerranée, il ne pleut pas forcément moins qu’il y a 150 ans

En sciences, "on aime bien avoir un consensus". Et lorsque celui-ci ne semble pas acquis, les scientifiques continuent de chercher. Voilà la démarche suivie par un groupe d’experts du bassin méditerranéen, après la publication du dernier rapport du GIEC (1) sur le climat. "Au sujet de l’évolution des précipitations en Méditerranée, nous avions clairement mis en évidence qu’il n’y avait pas de certitude, pas de tendance nette", décrit Yves Tramblay, hydrologue et directeur de recherche à l’IRD, Institut de recherche pour le développement, laboratoire Espace-Dev à Montpellier. Il est aussi co-auteur du GIEC. Pour diminuer la part d’incertitude, un scientifique espagnol, Sergio Vincente-Serrano a lancé une recherche collaborative, qui vient d’aboutir à une publication dans la prestigieuse revue Nature. Tous les pays bordant la Méditerranée ont été pris en compte, dans une période de 150 ans (1870-2020). Deuxième auteur de l’étude parmi plus de 60 chercheurs, Yves Tramblay en décrypte les enjeux. Pourquoi cette étude est-elle d’une ampleur particulière? Au sujet des pluies en Méditerranée, les études précédentes étaient basées sur un nombre assez réduit de stations, parfois dans peu de pays. Il manquait une vision d’ensemble. Le but de ce travail a été de récupérer les données de 23.000 stations dans 27 pays, afin d’avoir une représentation plus précise. Les séries de mesure les plus longues sont extraordinairement précieuses pour regarder l’évolution au long terme. Certaines en France mesurent la pluie en continu depuis 1870. Mais ces données précises n’existent pas partout. Selon l’étude, il ne pleut pas moins aujourd’hui qu’en 1870, c’est ça? À l’échelle de la Méditerranée, prise dans son ensemble, nous n’avons pas de signal marqué vers une baisse des précipitations. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des tendances localisées, mais on ne peut pas du tout dire que les pluies diminuent. On parle pourtant d’une tendance à l’assèchement depuis 1960. Nous avons identifié la tendance, mais il est difficile, à ce stade, de l’attribuer au réchauffement climatique. Il est possible que cela soit le résultat de la forte variabilité des précipitations, ce qui est une signature de notre climat Méditerranéen. Exemple, les Pyrénées-Orientales ont reçu seulement 245 mm de pluie en 2023, ce qui est la norme à Marrakech… 2.000km plus au sud. Tout serait question de variabilité? Dans le contexte de forte variabilité, il est difficile de distinguer une tendance. En 2050, on dira peut-être, rétrospectivement, que le signal en train d’émerger (l’assèchement) était bien lié au changement climatique. Mais à l’heure d’aujourd’hui, on ne peut pas tirer cette conclusion. Il y a une part de surprise? Oui, car cela contredit plusieurs études menées par le passé. Ce qui démontre l’intérêt de comparer les observations de terrain, avec les données des modèles. Votre étude contredit-elle la réalité du réchauffement climatique? Il est intéressant de noter que les modèles de climat les plus récents, ceux utilisés dans le dernier rapport du GIEC, ont les mêmes résultats que nos observations. Simplement, maintenant, on a beaucoup plus confiance en ces modèles, car on peut faire des comparaisons. Si les modèles arrivent à reproduire le climat observé dans le passé, on aura beaucoup plus confiance pour les scénarios à venir. Des climatosceptiques brandissent votre étude comme une preuve. Notre étude est la démonstration que nous, chercheurs, nous nous intéressons à la vérité, à créer une nouvelle connaissance, sans parti pris. Si on ne détecte pas l’influence du changement climatique sur les pluies en Méditerranée, on le dit et on a aucun problème avec ça. Nous sommes là pour créer de la connaissance, pas pour faire le buzz, mais pour améliorer les connaissances et les diffuser auprès du grand public. Dans le rapport du GIEC, nous avions bien écrit qu’il n’y avait pas de confiance forte, pour l’instant, sur la tendance des pluies, en cumul. Par contre, il y a une modification de leur fréquence et de leur répartition dans l’année. Avec un fort niveau de confiance. 1. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC compile les résultats d’études déjà publiées, dans une sorte de bilan des connaissances. Le GIEC ne mène pas de nouvelles recherches. Anticiper les pluies se révèle plus complexe que la hausse des températures Cela peut sembler paradoxal. Quand on parle changement climatique, il n’y a pas le même niveau de confiance sur tous les indicateurs. À ce titre, les précipitations sont particulièrement difficiles à anticiper, notamment dans notre région. "Déjà il faut souligner une chose importante, embraie l’hydrologue Yves Tramblay, on note une très nette hausse des températures, avec une répartition spatiale assez cohérente." Pour les pluies, c’est plus complexe. "Quand il y a un épisode intense, par exemple chez nous vers Montpellier, d’autres villes très proches peuvent ne pas être impactées." À quelques kilomètres de distance, on passe d’une pluie modérée à catastrophique. Cannes 2015, le risque de ruissellement Justement, "nous avons pu quantifier assez finement l’intensification des épisodes extrêmes, poursuit Yves Tramblay. Vous avez eu un épisode tragique à Cannes en 2015, avec des précipitations très importantes en milieu urbain. Malheureusement, dans ces zones littorales, il faut s’attendre à des risques récurrents en termes de ruissellement." Parmi les aspects les mieux anticipés, figure "l’amplification de la sécheresse en été", qui est déjà "très marquée à la fois en Paca et en Languedoc Roussillon". Le scientifique précise qu’il y a évidemment eu des sécheresses par le passé "liées à un manque de pluies". Par contraste, aujourd’hui, sécheresse et chaleur se cumulent. "C’est un effet boule de neige (sic), qui provoque un assèchement des sols beaucoup plus important." Même si dans l’année, il ne pleut pas moins.