Droits de douane : « Devenir la nouvelle usine du monde »… Mais que cherche Trump avec sa guerre commerciale ?
2029. Donald Trump termine son second mandat en contemplant ce que les Etats-Unis sont devenus à la suite de sa guerre commerciale avec le reste de la planète. En avril 2025, le président américain lançait la grande croisade des droits de douane, plombant tout produit étranger d’une taxe réciproque de 10 %. Voire bien plus pour les principaux partenaires commerciaux comme l’Europe (20 %), le Japon (24 %) ou la Chine (104 %). La surenchère ne faisait alors que commencer, avant qu’il ne fasse volte-face : tout le monde restait à 10 % pendant trois mois, sauf la Chine, qui passait elle à 125 %. Mais dans quel but ? Pour Anne-Sophie Alsif, cheffe économique au Bureau d’informations et de prévisions économiques (BIPE), derrière cette offensive brutale et erratique se cache son grand projet politique, le fameux Make America Great Again : « Le but, c’est de pousser les Etats-Unis à se réindustrialiser massivement en rendant trop chers les produits importés, poussant les entreprises et les consommateurs à acheter uniquement américain. » Une réindustrialisation massive permise notamment grâce aux bénéfices de droits de douanes bien plus agressifs. Avant qu’il ne fasse volte-face mercredi soir, le surplus des taxes devait rapporter 900 milliards de dollars aux Etats-Unis, chiffre Véronique Riches-Flores, spécialiste en prospective économique internationale. Un pactole censé soulager la production américaine : en enlevant toute taxe sur les fabrications locales, cela les rend plus compétitives, et donc davantage consommées que les produits étrangers. Devenir la nouvelle usine du monde et le roi des exportations Pour Marie Fernet, avocate exerçant en droit douanier « Donald Trump ne veut pas d’un droit du commerce international efficace, afin que la mondialisation ne bénéficie qu’aux Etats-Unis ». Le président américain prend comme un affront chaque balance commerciale négative - avoir davantage de produits importés qu’exportés avec un autre pays. Dans un mélange des genres, le locataire de la Maison-Blanche associe chaque déficit commercial à de la dette, du « vol » et de « l’arnaque », pour reprendre ses termes sur l’Union européenne. Donald Trump et sa fameuse liste jaune, confondant les droits de douane et la balance commerciale négative. - S. Corum/Sipa USA/SIPA Dans le désormais célèbre tableau ci-dessus, la colonne jaune, censée représenter les droits de douane de chaque pays « contre » l’Amérique, est calculée selon la balance commerciale, rappelle Véronique Riches-Flores. L’experte poursuit : « Son projet ultime, c’est un monde où les Etats-Unis ont une balance commerciale positive avec le reste de la planète. Qu’ils produisent tous les produits eux-mêmes mais aussi tous les produits pour le monde entier. Une nouvelle usine du monde comme la Chine, en somme », clairement devenue sa cible prioritaire. Un projet fou, vraiment ? Et pour cela, Donald Trump veut supprimer un autre ennemi : les barrières non tarifaires. « Par exemple, les normes environnementales ou sanitaires européennes, qui empêchent certains produits américains non conformes d’être exportés, liste Marie Fernet. Dans son monde idéal, marqué par un bras de fer économique permanent, il pousserait les autres pays à lever les normes et à acheter tous les produits américains sans aucune sélection ou critère. » Soyons beaux joueurs, tout n’est pas totalement idiot dans son projet, nuance Véronique Riches-Flores : « La mondialisation, qui consistait grosso modo à éclater au maximum la chaîne de valeur d’un produit pour optimiser chaque production, connaît d’évidentes limites depuis une vingtaine d’années ». Faire de la Chine l’usine du monde a construit une menace économique majeure pour les Etats-Unis. Et même pour le géant asiatique, « les gains marginaux et les parts de marché sont de plus en plus complexes à trouver. Le système arrive à bout de souffle », conclut-elle. Du rêve au cauchemar Au point de renverser totalement la table avant de la relever mais pas totalement, comme mercredi soir ?… « Il faut voir le monde rêvé de Donald Trump comme une philosophie politique, mais pas y chercher la rationalité d’un programme économique, car il n’y en a pas », estime Anne-Sophie Alsif. Notamment sur la réindustrialisation massive souhaitée. « C’est une bonne chose de relocaliser certains secteurs stratégiques et d’avenir, comme les photovoltaïques ou la production pharmaceutique. Mais on ne peut pas tout relocaliser », poursuit l’experte. Même avec des droits de douane XXL, « les Etats-Unis ne pourront jamais produire des tee-shirts ou des brosses à dents compétitives par rapport à ce qui se fait en Asie », pointe la cheffe économique. Véronique Riches-Flores abonde : « Ce que les Etats-Unis exportent massivement, ce sont des services. Pour devenir le premier vendeur mondial de produits, il faudrait un changement radical de l’économie », assez inimaginable en l’espace de quatre ans. En attendant, les chocs à répétition risquent d’être salés, rappelle la macro-économiste : « Les chances que les Etats-Unis tombent en dépression grandissent au fil des décisions douanières. Et l’inflation devrait monter à 7 % d’ici juillet ». Le monde rêvé de Donald Trump ressemblerait alors drôlement à un cauchemar.