Les hauts et les bas d’une diva

Plus d’une décennie après avoir prêté ses traits à Simone de Beauvoir dans Violette, de Martin Provost, Sandrine Kiberlain se glisse dans la peau de la première star internationale dans Sarah Bernhardt, la divine, de Guillaume Nicloux. La Presse s’est entretenue avec l’actrice à Paris. Dans Sarah Bernhardt, la divine, le réalisateur Guillaume Nicloux (La petite) et la scénariste Nathalie Leuthreau (avec qui il a écrit Holiday) racontent deux épisodes dans la vie de la grande actrice que Victor Hugo surnommait « la Voix d’or ». Pour incarner ce rôle, qu’elle a accepté dès la lecture du scénario, Sandrine Kiberlain, rencontrée aux Rendez-vous d’Unifrance en janvier, n’a pas cherché à imiter cette fameuse voix dont il existe quelques enregistrements. Pas plus que son rire. « Quand j’ai joué Sarah, à un moment un rire est sorti. Guillaume m’a demandé d’où ça sortait et j’ai répondu que je ne le savais pas. La voix, c’est pareil. On l’a découverte sur le tournage. Je me suis juste dit qu’elle n’est pas la même à 50 ans qu’à 70 ans. Il fallait que je trouve quelque chose. Ça s’est fait avec les réparties qu’elle a, le rythme qu’elle a, le corps qu’elle a, avec sa jambe en moins ou pas. Guillaume s’en est remis à moi. Il m’a dit : “C’est toi, tu vas inventer, on va créer cette Sarah ensemble” », raconte l’actrice, qui a lu plusieurs biographies de Sarah Bernhardt, dont Le rire incassable de Françoise Sagan. Désolé, votre navigateur ne supporte pas les videos Le film de Guillaume Nicloux nous emmène d’abord en 1916, au moment où Sarah Bernhardt, 72 ans, s’apprête à se faire amputer une jambe. Défilent à son chevet son fils Maurice Bernhardt (Grégoire Leprince-Ringuet), la peintre Louise Abbéma (Amira Casar), sa meilleure amie et maîtresse, et son dévoué secrétaire Georges Pitou (Laurent Stocker). Lui rend aussi visite le jeune dramaturge et cinéaste Sacha Guitry (Arthur Mazet), en froid avec son père, l’acteur Lucien Guitry (Laurent Lafitte). La flamboyante actrice lui raconte alors les raisons de sa propre rupture avec Lucien, le grand amour de sa vie. Le premier jour de tournage, je savais que j’avais plein de choses en moi qui ne demandaient qu’à sortir. Je me suis dit : si ça se trouve, Guillaume va me dire “non, non, non”. Heureusement, il m’a poussée dans l’autorité, dans l’outrance, dans la démesure, dans la douleur, dans le chagrin. Sandrine Kiberlain « C’est une femme qui n’a pas été aimée par sa mère, qui a été maltraitée. Il y a quelque chose qu’elle traînera toute sa vie. Je crois même que l’envergure de sa notoriété, de tout ce qu’elle a cherché à avoir, de tout l’amour qu’elle a voulu avoir des uns et des autres, lui vient de sa blessure d’enfance. » « Quinze personnes en une » Le film remonte ensuite en 1896, tandis qu’on se prépare à célébrer la « Journée de Sarah Bernhardt ». Parmi les sommités littéraires évoluant autour de la célèbre actrice se trouvent Émile Zola (Arthur Igual), qu’elle convainc de se pencher sur l’affaire Dreyfuss, et Edmond Rostand (Sylvain Creuzevault), qui écrira pour elle L’Aiglon quelques années plus tard. À son grand désarroi, la diva, âgée de 52 ans, découvre que Lucien, divorcé de la mère du petit Sacha (Théodore Le Blanc), désire épouser la jeune actrice Charlotte Lysès (Mathilde Ollivier). PHOTO MARCO BERTORELLO, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE Sandrine Kiberlain à la Mostra de Venise en 2021 « J’ai souvent joué des femmes mesurées, pudiques, réservées, très dignes. Sarah perd parfois sa dignité à vouloir dire ce qu’elle pense, à vouloir aimer un homme qui ne l’aime plus. C’est un personnage très important dans mon parcours, parce que très différent et très riche. Elle était quinze personnes en une. Elle était tellement impressionnante, tellement engagée, tellement mystérieuse, tellement autoritaire, drôle, triste. Il y avait un tel panel d’émotions qu’il fallait un lâcher-prise plus encore avec elle qu’avec d’autres personnages. » « Un drôle de truc, ce métier » L’une des répliques les plus remarquables de Sarah Bernhardt, la divine est celle que l’actrice lance à son entourage avant d’entrer en scène : « Laissez-moi, il faut que je me quitte. » Une réplique que Sandrine Kiberlain trouve « géniale », car elle résume bien le métier d’acteur. PHOTO FOURNIE PAR IMMINA FILMS Sandrine Kiberlain et Laurent Lafitte dans Sarah Bernhardt, la divine, de Guillaume Nicloux « On se quitte vraiment quand on joue. Ce n’est pas difficile de me quitter parce que mon plaisir, c’est de jouer un personnage, mais c’est aussi une douleur de quitter un personnage, de savoir qu’on ne le jouera plus. Dans la scène où je vois Lucien avec ma rivale et que je lui dis : “À tout à l’heure, Lucien !”, c’est ma dernière phrase du tournage. Quand on voit le film, il est nourri du fait que je ne dirai plus rien, comme si je disais : “Adieu, Sarah !” Dans la loge après, j’étais émue, heureuse de l’avoir jouée, d’avoir été en sa compagnie pendant deux mois. Elle m’a donné une telle envergure que j’avais l’impression de rétrécir. C’est un drôle de truc, ce métier », conclut Sandrine Kiberlain. En salle le 25 avril. Les frais de ce voyage ont été payés par Unifrance, qui n’a eu aucun droit de regard sur le texte.