Le chef du Parti libéral, Mark Carney, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, et le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, participent au débat des chefs animé par Patrice Roy. Il y a deux façons de gagner un débat des chefs. La première : être celui qui prononcera la phrase assassine qui sera reprise pendant les heures et les jours qui suivent le débat. Ce n’est pas arrivé mercredi soir. On peut aussi gagner en étant celui qui subit les attaques de tout le monde et qui reste debout à la fin de la soirée. C’est ce qui fait qu’on peut dire que Mark Carney a gagné le premier débat. Il est normal que le premier ministre soit la cible de tous les autres chefs dans un tel débat. Mais M. Carney avait quand même un avantage : il n’était pas membre du gouvernement sortant et ses adversaires n’ont pas réussi à le rendre solidairement responsable de tous les maux, réels ou imaginés, de la « décennie perdue des libéraux », comme se plaît à répéter le chef conservateur, Pierre Poilievre. Pour que l’un des chefs des partis de l’opposition sorte vainqueur du débat de cette année, il aurait fallu qu’il soit capable de changer l’incontournable « question de l’urne » : qui voulez-vous envoyer négocier au nom du Canada avec Donald Trump ? Une question qui a largement favorisé M. Carney depuis son arrivée au pouvoir. PHOTO CHRISTOPHER KATSAROV, LA PRESSE CANADIENNE Le chef libéral, Mark Carney, s’adresse au chef conservateur, Pierre Poilievre, lors du débat des chefs. Étonnamment, le président Trump a d’ailleurs été moins présent que prévu. Son nom fut à peine mentionné. On ne peut même pas dire que son ombre a plané sur le débat. Sauf que M. Carney s’est quand même bien tiré d’affaire. C’était une question d’attitude plus qu’autre chose, mais quand ses adversaires ont remis en question plusieurs de ses politiques, il n’a jamais été vraiment désarçonné et il ne s’est pas mis dans l’embarras. M. Trump est passé maître dans l’art de déstabiliser ses interlocuteurs, et on a pu voir que M. Carney n’était pas du genre à réagir aux provocations – même si le ton du débat est resté en tout temps respectueux. Si le but de cette élection est de trouver le meilleur interlocuteur pour tenir tête au président américain, on peut dire que le chef libéral a passé le test. Ce qui ne veut pas dire que M. Carney a fait plaisir à tout le monde. Il a répété qu’il était favorable à l’augmentation de la production de pétrole au Canada, ce qui veut nécessairement dire, en corollaire, la construction de nouveaux pipelines. De même, son corridor énergétique semble faire peu de cas des intérêts parfois très divergents des provinces canadiennes. Et si on a compris qu’il n’était pas favorable à l’utilisation préventive de la disposition de dérogation de la Constitution canadienne, il n’a jamais réussi à dire clairement pourquoi un tel recours lui semblait inacceptable. Enfin, on notera que le français de M. Carney ne s’améliore pas vraiment depuis le début de la campagne électorale. Il a encore du mal à expliquer clairement sa position dès qu’elle est le moindrement compliquée, ce qui resterait un problème s’il devait être confirmé dans sa fonction de premier ministre. Les autres chefs de parti n’ont certainement pas à rougir de leur performance au débat. Mais il est difficile de voir comment ils ont atteint leurs objectifs stratégiques. En ce qui concerne Jagmeet Singh et Yves-François Blanchet, cela voulait dire de mettre fin à une glissade dans les sondages qui profite directement à M. Carney depuis le début de la campagne. PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet Dans le cas de M. Blanchet, on peut certainement discuter de sa position à propos des contre-mesures sur l’aluminium. Il n’a pas tort de dire que les contre-tarifs sont essentiellement payés par les consommateurs – les Québécois comme les autres –, mais dans un contexte de guerre commerciale, ce n’est pas comme s’il y avait beaucoup d’autres options. À moins, bien sûr, de laisser le champ libre à l’administration américaine. En revanche, il a quand même réussi à quelques reprises à démontrer la méconnaissance – sinon l’opposition – de M. Carney sur des positions du gouvernement du Québec, en particulier sur les particularités de l’économie québécoise qui craint d’être noyée dans la notion d’une seule économie canadienne, que défend le chef libéral. M. Singh a pour sa part réussi à imposer le thème de la santé, qui reste une des préoccupations majeures des Canadiens et que M. Carney n’aborde presque jamais et qu’il a, pendant le débat encore, surtout réussi à éviter. Enfin, on ne peut pas dire que M. Poilievre a eu un mauvais débat, mais on ne peut pas dire que le chef de l’opposition officielle se soit montré sous le jour d’un premier ministre en attente. On l’a surtout entendu parler, encore une fois, de la « décennie perdue des libéraux » et de la nécessité de ne pas donner « un quatrième mandat aux libéraux ». Le chef conservateur a assez peu parlé, en fin de compte, de ce qu’il entend changer s’il est élu. Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue