" De la fève à la tablette ", des chocolatiers bretons misent sur la qualité et l’éthique
« Chocolatière de métier, je me suis assez vite rendu compte que les artisans chocolatiers ne font pas leur chocolat. Ils fondent des pastilles, préparent des ganaches, des pralinés… Moi, ce que je voulais, c’était travailler en direct avec les producteurs de cacao et transformer les fèves. » Ayant fait ses armes auprès de meilleurs ouvriers de France, c’est à Saint-Avé (56) que Marine Schmitt a ouvert son atelier, Lady Merveilles, selon le concept « Bean to bar » (« De la fève à la tablette ») importé des États-Unis. Torréfaction, concassage, broyage, conchage : elle réalise elle-même toutes les étapes requises pour transformer les fèves brutes en chocolat croquant. Des fèves de cacao en cours en torrefaction à La Chocolaterie. (Lionel Le Saux / Le Télégramme) Une dizaine en Bretagne Comme elle, ils sont une dizaine de (micro)-artisans, en Bretagne, à maîtriser le procédé de transformation du chocolat de A à Z, selon la carte évolutive établie par Laurent Meudic, consultable sur « Chocolat : le saviez-vous ? ». « Tous ne travaillent pas 100 % de leur production de la fève à la tablette », indique, toutefois, Marine Schmitt, membre et secrétaire de l’association Bean to bar France. À la chocolaterie de Saint-Thonan, la torréfacton des fèves de cacao. (Lionel Le Saux / Le Télégramme) Manufacture « Bean to bar » la plus importante de Bretagne, La Chocolaterie, à Saint-Thonan (Landerneau, 29), torréfie, chaque jour, 250 kg de fèves en provenance du Brésil et du Cameroun et les transforme en 60 kg de chocolat fini. Un deuxième outil de production, en cours de construction près de Yaoundé (Cameroun), permettra, dès l’été prochain, de travailler « 1,5 tonne de cacao par jour, au pied des plantations », s’enthousiasme Sébastien Le Corre, responsable de production, pour qui la qualité et la typicité d’un chocolat dépendent d’abord d’une sélection rigoureuse des fèves. Il en fend une en deux : « Observez ses veines. Leur homogénéité garantit une circulation d’air chaud - donc une torréfaction - optimale », expose-t-il devant une plaque emplie de centaines de moulages de Pâques. « Un achat qui fait sens » L’engouement pour le chocolat haut de gamme aurait pu connaître un sérieux coup de frein : après la flambée des prix des énergies et des emballages, le cours du cacao a été multiplié par cinq en deux ans, passant de 2 500 dollars la tonne, mi-2022, à près de 13 000 dollars la tonne, à l’été 2024 (il est depuis redescendu à 8 000 dollars). « En Bourse, il s’agit essentiellement de cacao de Côte-d’Ivoire ou du Ghana, deux pays qui assurent plus de 60 % de la production mondiale », éclaire la chocologue Victoire Finaz. Les chocolateries « Bean to bar », elles, s’approvisionnent après de petites coopératives d’Équateur, du Pérou, de Salvador, du Belize (…) qu’elles ont choisi, dès le départ, de payer plus cher, en cycle court, de façon à mieux rémunérer les producteurs plutôt que d’engraisser des intermédiaires. À La Chocolaterie, à Saint Thonan, la confection des tablettes de chocolat. (Lionel Le Saux / Le Télégramme) « Les consommateurs qui ont franchi le pas de l’aromatique ne reviendront pas chocolat industriel sucré. » « Certains profitent du déséquilibre du marché et vont au plus offrant mais la plupart préfèrent pérenniser nos partenariats, garants de prix stables, sur la durée », observe Marine Schmitt. « On a dû prendre 30 à 40 % d’augmentation, moins que les + 50 à 60 % du chocolat de couverture », abonde Anne-Laure Hagneré, fondatrice de Terre de Fèves, à Vannes (56), contrainte de répercuter une partie de la hausse sur ses tablettes, dont le tarif moyen est passé de 7 à 8 euros. « Les clients, qui (s’)offrent ce plaisir comme on achète un vin ou une bonne pâtisserie, l’ont bien compris. Pour eux, c’est un achat qui fait sens. Parce qu’il fait vivre des populations, lutte contre la déforestation, accompagne la création d’écoles ou de routes près des plantations. » À lire sur le sujet Pourquoi vous allez devoir payer votre chocolat encore plus cher Pas deux produits identiques « Dans une filière du cacao disparate et opaque, le "Bean to bar" éveille les consciences en même temps qu’il éduque les papilles », résume Victoire Finaz. Fruité, acidulé ou épicé, aux notes d’agrumes, de fruits rouges ou boisées… « Les consommateurs qui ont franchi le pas de l’aromatique ne reviendront pas au chocolat industriel sucré », assure-t-elle. « On est, comme pour le vin, sur un produit vivant. Chaque année, 4 kg de fèves « mystère » sont envoyés aux membres de l’association Bean to bar avec la même recette à mettre en œuvre. Par exemple, 76 % de cacao pour 24 % de sucre. Au bout du compte, on obtient autant de chocolats différents qu’il y a de participants. Parce qu’on ne possède pas tous le même matériel, qu’on ne torréfie pas à la même température, ni au même moment », illustre Marine Schmitt. Avant Pâques, la fabrication des œufs en chocolat constitue un pic d’activité pour les chocolateries. (Lionel Le Saux / Le Télégramme) Le juste prix À chacune sa signature. « Les chocolateries "Bean to bar" ne représentent qu’une toute petite part du marché mais cette part tend à grandir, observe Justine Chesnoy, sourceuse de cacao. D’autant qu’on trouve à présent, en Europe, le matériel nécessaire pour faire de la transformation artisanale. » Le chocolat est-il en train de devenir un produit de luxe ? « Premium, oui ; de luxe, non », rectifie Laurent Meudic, rappelant qu’« aucun produit fin - café, thé, vin - n’est aussi peu cher qu’un grand cru cacaoté, qu’il est normal de payer au juste prix ».