Un récit national à réinventer

Cliquer pour envoyer un lien par e-mail à un ami(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Le Canada s’est prononcé: on veut que ça change, mais pas trop! On aime ça des gouvernements minoritaires! Donc on a changé les premiers rôles de la pièce, et on a fait disparaître quelques acteurs. On peut donc clamer à la face du monde qu’on a un tout nouveau gouvernement libéral avec plusieurs vedettes dans les mêmes rôles. Méchant gros marketing, toé! Et ça, lecteurs zé lectrices, ça va faire peur au bonhomme Trump en titi. Quant aux conservateurs, encore condamnés à l’opposition officielle, ils se sont remplumés, quasiment un peu partout, mais ils ont perdu leur gourou. Ce pauvre Poilievre aura vraiment joué de malchance. Petite récapitulation pour le fun: jusqu’à la honteuse trahison de Chrystia Freeland, en décembre dernier, Poilievre surfait sur des sondages solides. Trudeau, poignardé, et ne faisant plus le poids devant lui, démissionnait et c’est une toute nouvelle partie d’échecs qui s’ouvrait. Et lundi soir, on a connu le dénouement. Poilievre a perdu, certes, mais, malgré la guigne, il a fait passer son parti de 33 à 41 pour cent! Bien sûr, il reste quelques détails à peaufiner pour finir ça en beauté. Genre: les libéraux pourront-ils glaner des restants de votes dans quelques boîtes de scrutin pour arriver au chiffre magique de 172 députés, ce qui confirmerait une majorité? On verra bien, mais en attendant je ne peux m’empêcher de penser à l’élection provinciale de 2018 quand les rouges et les bleus n’avaient qu’un siège de différence à Frédéricton. Ce qui nous a donné un spectacle où le manque de flair politique des Gallant libéraux s’est révélé dans toute sa splendeur: Higgs! Espérons que Mark Carney sera mieux entouré. *** On a eu beau dire que cette élection fédérale était historique, entre autres à cause de la menace tarifaire et autres singeries du bonhomme Trump, mais je n’ai pas senti le frôlement de l’Histoire. Juste de la politique politicienne ordinaire. Untel promet ci, Untel promet ça. Souvent à coups de milliards dont on peine à se faire une projection mentale. Mais plus c’est gros, plus ça a l’air bon; et plus ça a l’air bon, plus ça a l’air vrai. Alors, que va-t-il se passer maintenant? À quel moment exactement Carney sera-t-il prêt à entreprendre sa croisade à Washington? De combien de troupes disposera-t-il? Une couple de premiers ministres provinciaux ou tout le pays derrière lui? Au moment d’écrire ces lignes, je note en passant que Trump n’a toujours pas réagi aux résultats de l’élection. Coudon, le Canada serait-il parvenu à faire ce que personne n’a réussi jusqu’à aujourd’hui: lui couper le sifflet? Mais ce silence (passager?) sur le Canada n’empêche nullement Trump de jongler avec les tarifs, les remises à plus tard, les augmentations radicales, les atermoiements, comme s’il cogitait sérieusement, comme si, imprégné de la gravité des tourments qu’il impose à l’humanité, il s’ingéniait, magnanime, à trouver la solution la plus équilibrée et la plus équitable pour régler ce problème qu’il a lui-même causé! Il fête justement le 29 avril les cent premiers jours de sa deuxième présidence. La planète est déjà épuisée. Dieu merci, il ne reste que 1362 jours à cette présidence. La patience pourrait être de mise! *** Quoi qu’il en soit, le Canada entre dans une période pleine de défis qui existent (existaient) indépendamment de la couleur du parti et du nombre de députés au pouvoir. Elle pourrait devenir chaotique si le Parlement fédéral ne parvenait pas à harnacher les forces en présence pour extirper le pays du magma économique dans lequel Trump essaie de l’enliser. Nos vaillants nouveaux et anciens députés seront-ils à la hauteur du mandat que le pays leur a confié? Bien malin qui pourrait répondre à cette question. La partisanerie politique étant ce qu’elle est, il y a fort à parier que d’ici quelques semaines on assistera à quelques algarades bien senties, ne serait-ce que pour tenir en laisse un gouvernement minoritaire. Car, si les soirs d’élections il est de bon ton de faire preuve de bienveillance à l’égard de ses adversaires, il est aussi évident que tout ce beau monde est redevable à des clientèles électorales diverses, pour ne pas dire divergentes, et que malgré les beaux discours, l’intérêt du parti passe généralement avant l’intérêt de la patrie! *** Un des défis significatifs qui attend le premier ministre Carney, c’est celui de son rapport effectif et affectif avec la francophonie canadienne. Jusqu’à maintenant, quand on lui parle du fait français, il établit tout de suite un lien avec le Québec. Malheureusement, il se cantonne dans cette approximation. Aucun mot sur l’Acadie, sur la francophonie en Ontario ou dans les autres provinces. J’implore le ministre Dominic LeBlanc de lui faire un mini-exposé de la situation. Je ne vois personne d’autre aussi apte que lui pour l’éclairer à ce sujet. Il faut que ça devienne une seconde nature chez Carney que lorsqu’il aborde le fait français, il fasse état de sa diversité pancanadienne, et pas seulement de sa spécificité québécoise. Chances égales pour tous, non? *** Au cours des prochains mois, Mark Carney devra naviguer en eaux troubles. Gouvernement minoritaire, organisation du G7 en Alberta en juin, frasques du bonhomme Trump, il aura du pain sur la planche. Sans oublier les réalités domestiques: freiner la hausse du coût de la vie et redonner aux Canadiens un sentiment de sécurité face au délire trumpiste d’un 51e État. Il hérite d’un Parlement où malgré les déboires du chef conservateur Poilievre, la forte influence de ce dernier sur le scrutin électoral impose à Carney de faire preuve d’un réalisme politique placé sous le signe de l’ouverture et du compromis, le contraignant à transformer cette gouvernance minoritaire en force collective. Sans oublier qu’en plus du Québec, l’Acadie, l’Ontario français et les autres communautés francophones attendent, elles aussi, leur place dans ce récit national à réinventer! Drapé de promesses séduisantes, saura-t-il braver efficacement l’urgence du temps présent? Han, Madame?