Le chef conservateur a finalement été distancé par plus de 4000 voix au profit de son adversaire libéral, Bruce Fanjoy (Manotick) Lorsque Pierre Poilievre a incité les électeurs à opter pour le changement, il ne s’attendait pas à ce que ceux de sa propre circonscription lui montrent la porte. Ses partisans n’arrivaient pas à comprendre mardi comment le chef conservateur avait pu passer si près de devenir premier ministre tout en perdant son siège à la Chambre des communes. « Je suis très déçue. J’ai pleuré », nous confie Norma, 80 ans, rencontrée dans le stationnement d’une épicerie de la circonscription de Carleton, où le chef conservateur avait ses aises depuis 2004. Elle n’a pu contenir ses larmes devant nous. « Toute la ville est libérale ! Qu’est-ce qui cloche chez les gens ? demande-t-elle. Pierre avait tellement de gros rassemblements. Je ne comprends pas ce qui est arrivé. » PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE Norma espérait une victoire du chef conservateur Pierre Poilievre. Le résultat final est tombé tôt mardi matin après une longue nuit : plus de 4000 voix séparent le chef conservateur de son adversaire libéral, Bruce Fanjoy. Ce dernier a récolté près de 51 % du vote. « J’ai été surpris du peu de réactions que nous avons reçues du Parti conservateur », a confié le vainqueur à des passants qui le félicitaient près du Moulin Watson dans le village de Manotick, où il réside. Dès la première semaine de campagne, plus de 500 bénévoles sont venus lui prêter main-forte, mais il a constaté que les conservateurs ont été lents à réagir. PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE Le libéral Bruce Fanjoy (en rouge) est félicité par des électeurs pour sa victoire surprise. « Pierre Poilievre tenait la circonscription pour acquise depuis longtemps et personne n’aime être tenu pour acquis », nous a expliqué M. Fanjoy en entrevue. Réaction trop tardive ? Le Parti conservateur a envoyé des renforts durant la dernière semaine de la campagne électorale alors qu’il sentait que Carleton lui échappait et que Pierre Poilievre sillonnait le pays pour tenter de convaincre les électeurs d’opter pour le changement. Le chef a tenté de sauver les meubles en tenant son dernier rassemblement dimanche dans sa circonscription. Des centaines, voire des milliers de personnes y ont assisté sans que cela se transpose dans l’urne. M. Poilievre a fait plusieurs choses que je n’ai pas aimées. L’une d’entre elles est sa campagne antivaccination. En tant que chercheur, je pensais que ce n’était certainement pas le message à faire passer. La deuxième est quand il a soutenu les camionneurs qui ont bloqué le centre-ville d’Ottawa. Rick Pouloski, scientifique à la retraite et électeur de Carleton Puis, il y avait le souvenir des coupes du gouvernement conservateur de Stephen Harper dans la fonction publique fédérale qui a rebuté Michel Shamoko, lui-même fonctionnaire. « Déjà, par le passé, nous avons eu de mauvaises expériences avec les conservateurs au pouvoir. Ils ont fait des coupes dans le travail et dans des programmes utiles, dit-il. M. Poilievre n’a pas aidé avec sa proximité, avérée ou pas, avec M. Trump. » La circonscription de Carleton compte 18,3 % de fonctionnaires, selon les données du recensement de 2012 de Statistique Canada. Combinaison de plusieurs éléments M. Fanjoy avait commencé à cogner aux portes de sa circonscription il y a plus de deux ans alors que Justin Trudeau était toujours chef du Parti libéral. Puis est arrivée la crise au sein de la formation politique et l’élection comme chef de Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, au moment où le président américain Donald Trump déclenchait sa guerre commerciale avec le Canada et le reste du monde. Le libéral attribue sa victoire à « la combinaison d’un leader fort, d’une campagne nationale vigoureuse et d’une campagne locale très dynamique, où nous avons rencontré des milliers de personnes sur une longue période de temps ». Il raconte qu’à la porte, les inquiétudes par rapport au président Trump dominaient les conversations. Restera-t-il en poste ? Lorsqu’il s’est adressé à ses partisans, lundi soir, Pierre Poilievre traînait déjà de l’arrière. Il a tout de même indiqué qu’il comptait rester en poste. « Ça serait un grand honneur de continuer de me battre pour vous, parce que c’est un honneur d’être votre voix, c’est un honneur de me battre pour les valeurs conservatrices pour lesquelles vous avez voté et surtout ça va être un honneur de continuer [de faire] avancer la promesse du Canada », avait-il déclaré. Pour être en mesure de rester à la tête de son parti, Pierre Poilievre devra d’abord obtenir l’appui de son caucus. Ensuite, un député devra lui céder son siège pour qu’il puisse se faire élire dans une élection partielle et devenir chef de l’opposition officielle. Son lieutenant au Québec, Pierre Paul-Hus, continue de l’appuyer. « Oui, c’est crève-cœur qu’il n’ait pas réussi à avoir son comté, mais on doit donner à Pierre Poilievre le fait d’avoir obtenu un gain historique dans les appuis conservateurs au Canada », a-t-il souligné en entrevue. « On va arriver à Ottawa à la Chambre des communes avec une dynamique très différente. On va être dans une position quasiment égale au gouvernement », a-t-il ajouté. PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE Pour qu’il soit en mesure de rester à la tête de son parti, Pierre Poilievre devra d’abord obtenir l’appui de son caucus. Un autre député du Québec, Gérard Deltell, a donné publiquement son appui à M. Poilievre dans une entrevue à Radio-Canada. L’ex-chef du parti Andrew Scheer, qui s’était fait montrer la porte après sa défaite en 2019, estime qu’il doit rester en poste malgré sa défaite. « Son leadership inspirant a attiré davantage de personnes au sein du mouvement conservateur. Son leadership continu nous permettra de terminer le travail la prochaine fois », a-t-il écrit sur X. Mais les couteaux pourraient voler bas en Ontario, où le chef conservateur a essuyé les critiques à l’intérieur de sa propre famille politique durant la campagne électorale, notamment du puissant premier ministre Doug Ford. Malgré tout, M. Poilievre a fait des gains importants dans cette province. En tout, 53 députés conservateurs y ont été élus contre 69 libéraux.