On a percé le mystère des numéros qui vous appellent et raccrochent aussitôt
Personne n’échappe au démarchage téléphonique et c’est bien relou. Si la pratique est désormais très encadrée, si les outils pour s’en protéger se multiplient, que celui qui ne reçoit plus jamais d’appels indésirables se lève maintenant ou qu’il se taise à jamais. Et encore, quand il s’agit de vous vendre un truc, on peut comprendre. Mais quand on vous appelle pour aussitôt raccrocher, quel est le projet ? 20 Minutes a donc tenté de percer ce mystère. On rassure tout de suite ceux qui auront un sentiment de « déjà-vu », il ne s’agit pas ici de parler du « ping-call » ou du « wangiri », ces appels manqués de numéros étranges que votre curiosité vous incite à rappeler et qui vous sont facturés une blinde. Là, ce sont des numéros français dont les préfixes figurent dans la liste réglementée des démarcheurs téléphoniques. Des numéros en 0162, 0377, 0568 ou encore 0424. Sauf que les appels ne vous laissent même pas le temps de décrocher puisqu’ils ne durent que 0,2 seconde. Des sociétés fictives ou qui n’existent plus Alors on a fait ce qu’il ne faut pas faire : on a rappelé plein de ces numéros. Le point commun, c’est que l’on ne tombe jamais sur un être humain, mais sur des répondeurs aux voix souvent identiques affirmant être la boîte vocale de sociétés plus ou moins bidon. La société « Sondages express », qui appelle avec plusieurs préfixes différents, n’existe pas. A peine trouve-t-on une page Web vide, exception faite d’un logo sur fond blanc. La société « ConcessionVirtuelle.fr » n’existe pas non plus et n’a d’ailleurs même pas de site Internet, le nom de domaine cité par le répondeur est d’ailleurs disponible à l’achat. Un autre répondeur serait celui de la société « Assurances mutuelles ». Et si « Assurances mutuelles de France » existait bien, cette entité a toutefois disparu après une fusion-absorbtion avec l’assureur GMF en 2022 pour devenir AM-GMF. Contacté par 20 Minutes, GMF assure ne pas être à l’origine d’une éventuelle campagne de démarchage au nom d’Assurances mutuelles. Un dernier répondeur affirme être celui de l’entreprise « Automobile actu » qui, elle, possède un site Web. Site dont on a pu remonter jusqu’à l’éditeur, Onssen, une entreprise de prospection digitale et de marketing direct. Contactée par 20 Minutes, Onssen a nié son implication dans ce type de démarchage. De la récupération de données A 20 Minutes, l’Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep) reconnaît être dubitative. « Il pourrait s’agir d’une usurpation du numéro d’une société, d’appels en rebond, mais on n’est pas certains de comprendre la logique de ces appels », déclare l’Arcep, nous renvoyant vers la DGCCRF, la répression des fraudes. Et là, sans être catégorique sur le but des personnes à l’origine du phénomène, la DGCCRF estime qu’il « peut s’agir d’une technique de récupération de data ». Les données, le nerf de la guerre. Parce que le « ping-call » ne sert pas uniquement à vous faire rappeler un numéro surtaxé mais cela peut être utilisé pour « vérifier que le numéro de téléphone appelé est valide et actif », explique à 20 Minutes Antoine Violet-Surcouf, expert en risques numériques chez Forward Global. « L’objectif est d’alimenter ou de revendre une base de données de numéros de téléphone. Cette base peut ensuite servir illicitement pour du phishing, ou du démarchage agressif », assure-t-il. D’autant qu’un appel en « ping-call » ne nécessite pas d’être décroché pour fournir beaucoup d’informations : si le numéro est actif, s’il s’agit d’un portable ou d’un fixe, l’opérateur, si l’appareil contacté est en France ou à l’étranger… « En croisant les données de roaming et l’horodatage de la réponse avec les fuseaux horaires, un ping-call permet même d’affiner la localisation de l’appareil », affirme l’expert. Une pratique légale jusqu’à preuve du contraire Le pire, c’est qu’il n’y a rien d’illégal dans cette pratique, du moins en apparence. Les indicatifs utilisés pour ce « démarchage » sont autorisés et les appels ont lieu dans les créneaux légaux. Même les secteurs d’activité des soi-disant entreprises derrière ces appels (auto, assurances, sondage…) entrent dans le cadre de la loi. En effet, selon la DGCCRF, le démarchage n’est interdit que pour les domaines du compte personnel de formation, de la rénovation énergétique ou des travaux d’adaptation des logements au vieillissement ou au handicap. Pour Romain Bonenfant, directeur général de la Fédération française des télécoms, « si le cadre réglementaire est déjà très contraignant, il ne peut cependant pas résoudre tous les problèmes, notamment pour les appels qui sont techniquement légitimes ». Seule l’ARCEP peut savoir qui se cache vraiment derrière les 0162, 0568 ou 0377 qui vous appellent, puisque c’est elle qui attribue ces numéros. Mais cela n’est possible que sur réquisition dans le cadre d’une enquête.