Malgré nos efforts pour réduire nos émissions polluantes, la concentration de CO 2 dans l’atmosphère a connu une hausse spectaculaire en 2024 Au cours des deux dernières années, la nature n’a pas réussi à absorber autant de carbone qu’à l’habitude. Résultat : malgré nos efforts pour réduire nos émissions polluantes, la concentration de CO 2 dans l’atmosphère a connu une hausse spectaculaire en 2024. Cette nouvelle donne préoccupe les scientifiques. Qu’est-ce qui inquiète les scientifiques ? La National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) a dévoilé le 14 avril dernier ses plus récentes données sur la concentration de CO 2 dans l’atmosphère, mesurés à l’observatoire de Mauna Loa, à Hawaii. Cette valeur est mesurée en parties par million (ppm) et représente l’ultime unité de mesure de nos efforts pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES). L’agence américaine a observé une hausse spectaculaire de 3,75 ppm en 2024 par rapport à l’année 2023. Ils s’agit d’un bond de 27 % comparativement au précédent record observé en 2015. C’est normal, non ? Puisque nos émissions de CO 2 ne cessent d’augmenter elles aussi… Nos émissions polluantes ont augmenté, certes, mais seulement de 0,8 % entre 2024 et 2023, souligne le Global Carbon Project. C’est une tendance depuis quelques années : nos émissions totales continuent de grimper, mais l’augmentation est moins importante qu’auparavant. Bref, une hausse aussi considérable des concentrations de CO 2 dans l’atmosphère ne peut être attribuée à une hausse de moins de 1 % de nos émissions. Quelle différence entre les émissions de GES et la concentration de CO 2 dans l’atmosphère ? La concentration de CO 2 dans l’atmosphère est en quelque sorte le résultat de nos émissions annuelles qui s’accumulent au-dessus de la Terre. En résumé, plus la concentration de CO 2 est élevée, plus l’effet de serre est important. Même si le CO 2 ne constitue que 0,04 % de l’atmosphère terrestre, ce gaz a la capacité de retenir la chaleur, contrairement à l’oxygène et à l’azote, par exemple. Or, la concentration de CO 2 est passée de 285 ppm en 1850 à 430 ppm en 2025, provoquant ainsi une hausse des températures à l’échelle mondiale. Comment expliquer une hausse si importante des concentrations de CO 2 dans l’atmosphère ? C’est le sujet d’une récente analyse d’une équipe de chercheurs internationaux publiée par l’Université Cornell, aux États-Unis. PHOTO TIRÉE DU SITE CARBON GAP Philippe Ciais « À peu près la moitié du carbone fossile est absorbée par les océans et la végétation, mais il y a des années où l’absorption fonctionne bien et d’autres périodes, où il n’y a presque pas d’absorption. Ça se reflète alors par le fait que le CO 2 dans l’atmosphère augmente plus vite », explique Philippe Ciais, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement en France et coauteur de l’étude. En 2023 et en 2024, les chercheurs ont observé une forte diminution de l’absorption du CO 2 à la surface terrestre, notamment en raison des sécheresses provoquées par le phénomène météorologique El Niño. « On a toujours des pics comme ça qui sont en général associés à ces fameux épisodes El Niño : c’est donc plus sec en Amazonie et en Asie du Sud-Est, où les forêts tropicales absorbent moins de carbone », précise M. Ciais en entrevue avec La Presse. Il n’y a donc pas de surprise à observer une hausse importante des concentrations de CO 2 dans l’atmosphère… Au contraire, les scientifiques sont plutôt surpris par ces résultats. « Ce qui est anormal, c’est qu’en 2015, on avait eu un El Niño extrême et on s’était effectivement retrouvés avec un taux de croissance du CO 2 élevé. Mais là, en 2023 et en 2024, on a eu un El Niño plutôt modéré et on a un taux de croissance [du CO 2 ] encore plus élevé. C’est ça qui est nouveau et qui n’est pas agréable à voir », affirme Philippe Ciais. Les scientifiques ont-ils une explication ? « Il n’y a pas de bouton sur lequel on appuie et qui nous donne une explication, souligne Philippe Ciais. Mais ce qu’on a vu, c’est qu’en Amazonie, la sécheresse pendant les saisons sèches de 2023 et 2024 était plus accentuée que d’habitude. » Le constat, ajoute-t-il, c’est que depuis un an, on n’a pratiquement plus d’absorption du CO 2 à la surface terrestre. Faut-il s’en inquiéter ? Phillipe Ciais demeure prudent. « Si les continents et les forêts en particulier absorbent moins de CO 2 , eh bien, ça sera un problème parce que ça veut dire que le changement climatique va s’accélérer et on a quand même pas mal de signes dans certains pays », rappelle-t-il. Le chercheur souligne qu’on a observé, ces dernières années, une très forte diminution de l’absorption du carbone dans les forêts en Europe et dans l’hémisphère Nord. Si cette tendance se poursuit pendant encore deux ou trois ans, on pourra alors parler d’un « changement de régime », d’un « point de bascule », croit Philippe Ciais. Quelles sont les solutions ? Les options sont peu nombreuses, soutient le chercheur. Si la nature n’est plus capable d’absorber autant de carbone, il faudra nécessairement réduire encore plus nos émissions de gaz à effet de serre (GES). « Si on veut stabiliser le climat, il faut stabiliser le CO 2 . Il faut arriver à des émissions zéro, mais pour l’instant, on a seulement ralenti la hausse de nos émissions, on ne les a pas diminuées. »