Un record particulièrement représentatif de l’évolution de l’aérospatiale vient de tomber : entre lundi et mardi, ce sont pas moins de six fusées différentes qui ont décollé en l’espace de 18 heures depuis trois continents différents. Une cadence infernale qui illustre bien la montée en puissance de cette industrie. Le précédent record, 4 lancements en 24 heures, avait déjà bien failli tomber un peu plus tôt dans l’année, au mois de février. Il n’a finalement été qu’égalé, suite au report du tir de la fusée de Rocket Lab. Mais cette fois, toutes les étoiles se sont enfin alignées. Quatre lancements en moins de 7 heures Ce véritable feu d’artifice a démarré le lundi 28 avril en Chine, avec le décollage d’une fusée Longue Marche 5B — le fer de lance de l’industrie spatiale chinoise. Ce lanceur lourd a déployé une série de satellites destinés à rejoindre la mégaconstellation Guowang, gérée par l’entreprise gouvernementale China Satellite Network Group. À terme, elle devrait comprendre pas moins de 13 000 satellites web parqués en orbite terrestre basse, et se positionne comme l’un des principaux concurrents à la constellation Strlink de SpaceX. Et le hasard fait bien les choses, car c’est d’ailleurs l’entreprise d’Elon Musk qui a pris le relais. Une demi-heure plus tard, c’est un Falcon 9 qui a décollé de la base de Vandenberg avec 27 unités Starlink sous sa coiffe. Et ce n’était qu’un début, car la firme a répété l’opération quelques heures plus tard. Un second Falcon 9 a décollé, cette fois depuis le légendaire Centre spatial Kennedy, avec une nouvelle cargaison de 27 satellites web. La constellation du géant américain approche désormais les 7000 satellites, et à ce rythme, elle va sans doute franchir ce cap symbolique avant la fin de l’année. Entre ces deux lancements, c’est un autre taulier de l’industrie américaine, United Launch Alliance, qui est entré dans la danse… et là encore, son objectif était de déployer des satellites web. Le client n’était autre que Blue Origin, l’entreprise de Jeff Bezos qui travaille également sur sa propre constellation appelée Kuiper. Celle-ci est encore loin d’être aussi mature que celle de son concurrent — mais elle pourra désormais compter sur 27 satellites supplémentaires. En à peine plus de six heures, ce sont donc quatre fusées différentes qui ont été lancées depuis quatre sites différents répartis sur deux continents. Le précédent record a donc été égalé dans un délai particulièrement court, et ce n’était qu’un début. Deux tirs supplémentaires pour un record spectaculaire Quelques heures plus tard, c’est l’Europe qui s’est jointe à la fête avec un lancement particulièrement enthousiasmant, pour deux raisons. La première concerne l’identité du véhicule : il s’agissait de Vega-C, la « petite sœur » d’Ariane 6 dans la famille des fusées européennes. Cet engin sort d’une période compliquée, où il a notamment été cloué au sol pendant de longs mois suite à un dysfonctionnement critique fin 2022. Depuis, ce petit poucet a repris du poil de la bête. En décembre 2024, il est revenu sur le devant de la scène avec le déploiement du troisième satellite Sentinel-1. Ce nouveau succès, le deuxième consécutif, confirme donc que Vega-C est à nouveau en pleine possession de ses moyens, et que l’Europe pourra compter dessus pour continuer de restaurer son accès autonome à l’espace. À son bord se trouvait le satellite Biomass, un engin déployé sur une orbite héliosynchrone pour surveiller l’évolution de certains écosystèmes, et notamment les forêts. Il collectera une grande quantité de données plus précieuses les unes que les autres pour les spécialistes de la biodiversité et de l’environnement. Ce grand défilé a été conclu quelques heures plus tard avec le décollage de la fusée Alpha, construite par la startup américaine Firefly Aerospace. C’est un engin encore très jeune qui ne s’était envolé qu’à cinq reprises jusqu’à présent, et ce manque de maturité s’est malheureusement fait sentir. Même si le lancement s’est déroulé de manière satisfaisante, un problème technique est survenu au moment de la séparation de la charge utile, un démonstrateur technologique du titan industriel Lockheed Martin. Ce satellite a malheureusement été perdu dans la foulée et n’arrivera jamais sur son orbite de destination. Malgré cette fin de journée ratée, il s’agit tout de même d’une date historique pour l’aérospatiale mondiale. Il y a tout juste dix ans, l’idée de voir six fusées différentes décoller dans un intervalle de temps aussi réduit relevait encore de la science-fiction. C’est désormais une réalité tout ce qu’il y a de plus concrète, et il y a fort à parier que cette dynamique ne va faire que s’intensifier — notamment grâce à SpaceX, qui n’a jamais caché son intention d’enchaîner les lancements à un rythme inédit. Mais l’entreprise d’Elon Musk ne sera certainement pas la seule à accélérer la cadence. On peut donc s’attendre à ce que ce record tombe une nouvelle fois dans un futur relativement proche. Quelle époque !