Panne géante en Espagne et au Portugal : les énergies renouvelables injustement pointées du doigt

Lundi, l’Espagne et le Portugal ont été plongés dans le noir pendant plus de douze heures, affectant des millions d’usagers, paralysant les transports, les hôpitaux, les restaurants et les communications. Immédiatement, certains responsables politiques et commentateurs ont mis en cause la forte part d’énergies renouvelables dans le mix énergétique des deux pays — près de 80 % à ce moment précis selon les données du gestionnaire de réseau espagnol REE. Un réseau fragile, pas une faille des renouvelables Mais pour les spécialistes, cette hypothèse ne tient pas. « L’ampleur et la nature de la panne rendent improbable l’idée que les volumes d’énergies renouvelables soient à l’origine du problème », a déclaré Daniel Muir, analyste senior chez S&P Global, au Guardian. Le système électrique espagnol est régulièrement soumis à des pics de production éolienne et solaire bien plus importants. En réalité, les causes exactes de la panne restent floues. Le Portugal évoque un « problème de transmission inexpliqué », tandis que l’Espagne mentionne deux incidents distincts de perte de génération dans des postes électriques du sud-ouest. Le lien avec la connexion à la France, qui a été rompue au même moment, est également évoqué. Si la transition énergétique est bien engagée en Espagne — avec un objectif de 81 % de renouvelables d’ici 2030 —, le réseau électrique ne suit pas le rythme. REE alertait déjà en mai 2024 sur les limites d’un système conçu à l’époque des grandes centrales fossiles, aujourd’hui confronté à une production éclatée, plus variable et difficile à stabiliser. La présidente de REE, Beatriz Corredor, réfute toute responsabilité des énergies renouvelables : « Ces technologies sont désormais fiables et intégrées au réseau comme n’importe quelle source conventionnelle », a-t-elle insisté sur la radio Cadena SER. Les spécialistes soulignent surtout le manque d’« inertie » du réseau moderne. Contrairement au gaz ou au nucléaire, les énergies renouvelables injectent peu de résistance naturelle aux variations de fréquence. Sans technologies de compensation (batteries, volants d’inertie, super-condensateurs), la moindre oscillation peut dégénérer. D’après David Brayshaw, professeur à l’Université de Reading, « les coupures risquent de devenir plus sévères si l’on ne renforce pas l’architecture du réseau ». Face à l’ampleur des perturbations, le gouvernement de Pedro Sanchez a lancé une enquête. Il réclame des comptes aux énergéticiens privés et n’exclut pas totalement un acte malveillant, bien que le gestionnaire du réseau ait formellement écarté l’hypothèse d’une cyberattaque. Mais l’opposition de droite demande une enquête parlementaire indépendante et accuse le gouvernement de protéger les dirigeants de REE, dans lequel l’État détient une part significative. Pour certains observateurs, la vraie cause réside dans le manque de production « pilotable » ce jour-là. « Ce n’est pas tant l’afflux d’énergies vertes qui a causé la panne, que l’insuffisance de sources stables comme le gaz ou le nucléaire », estime Jorge Sanz, ex-président de la Commission sur la transition énergétique.