Amazona enroule ses jambes et ses bras autour de Lady Lee comme un bretzel, puis lui projette violemment le visage contre le tapis. Rayonnante, ses épais cheveux roux tombant derrière son masque rouge et son costume à paillettes scintillant comme ses bottes noires à lacets hauts, elle lève les bras en guise de victoire. Au milieu du crépitement des crécelles en bois et des cris épars de la foule, une voix perce : « Amazona ! Amazona ! » C’est celle de son fils de 6 ans. Amazona qui, lorsqu’elle n’est pas assise derrière un bureau dans une entreprise de logistique, passe son temps à frapper de ses coudes et à plaquer au sol de pauvres adversaires, n’a pas trouvé de gardienne. On ne sait jamais ce qui peut se passer lors d’une soirée de lucha libre. La lucha libre est un sport de lutte professionnelle à la mexicaine, avec des lutteurs masqués, des acrobaties aériennes et une aura mystique. Au Mexique, c’est un passe-temps national et un fantastique véhicule de catharsis collective : pour des légions de fans, les combats dans le ring représentent les batailles de la vie réelle. La lucha libre existait bien avant Hulk Hogan. Photo: Zaydee Sanchez The New York Times Photo: Zaydee Sanchez The New York Times Photo: Zaydee Sanchez The New York Times Les habitants de Los Angeles n’ont pas besoin d’aller au Mexique pour voir la lucha libre en action. La lucha libre vient à eux. La région de Los Angeles est le cœur battant et transpirant de ce passe-temps en Amérique. Les lutteurs mexicains sillonnent la région, se produisant dans la boîte de nuit Don Quixote, au Centre culturel ukrainien et dans d’autres salles de la région, de Boyle Heights à Carson, en passant par Irvine. Des millions de personnes ont regardé, à la fin avril, le Super Bowl de la lutte professionnelle, le spectacle mondialement connu sous le nom de WrestleMania, qui se déroule à Las Vegas. John Cena, Cody Rhodes et Rey Mysterio étaient présents à WrestleMania. Mais lors d’un week-end typique à Los Angeles, ce sont Psycho Clown, Doble Cara et Datura qui se produisent dans des spectacles de lucha libre à petit budget, dont la folie est plus prolétaire, plus latine et moins bondée. La lucha libre à Los Angeles ne serait rien sans les luchadoras, les lutteuses. Les femmes sont souvent en tête d’affiche des combats, un contrepoint populaire dans un domaine autrement hypermasculin. Amazona et Lady Lee viennent de Tijuana, une ville frontalière mexicaine. Pour elles et les autres lutteuses qui traversent la frontière pour se produire, Los Angeles représente une bouée de sauvetage, offrant des occasions économiques et une concurrence sans pareille dans leur pays. Photo: Zaydee Sanchez The New York Times Photo: Zaydee Sanchez The New York Times Photo: Zaydee Sanchez The New York Times « Le salaire est meilleur, mais à part ça, il y a plus d’occasions ici, plus de lutteuses, explique Amazona. À Tijuana, nous sommes six. Nous sommes donc très peu nombreuses et parfois, nous n’avons pas assez de travail régulier. » Amazona et Lady Lee ont demandé que leurs vrais noms ne soient pas divulgués, invoquant l’importance de l’anonymat pour leur identité professionnelle. Selon elles et d’autres lutteuses, l’anonymat contribue à la création du mythe et à la commercialisation de leurs alter ego masqués. « On applaudit Amazona ! » Un dimanche soir, dans une petite salle de spectacle du centre-sud de Los Angeles, une vingtaine de fans occupent quelques rangées de chaises à dossier rigide disposées comme dans une salle de classe, autour d’un ring délabré. Les autres soirs, la salle accueille des quinceñeras (fête des 15 ans). Ce soir-là, des lumières de DJ tourbillonnent, éclairant non pas des adolescents en robes et en costumes, mais des fans inconditionnels de lutte. Un homme muni d’un sifflet porte un gilet recouvert de pièces représentant des masques de lucha libre. À côté de lui se trouve sa petite amie, qui a un masque tatoué sur le bras. Photo: Zaydee Sanchez The New York Times Photo: Zaydee Sanchez The New York Times Photo: Zaydee Sanchez The New York Times Le spectacle se déroule dans un bâtiment aux couleurs pastel situé à côté d’un petit dépotoir sur Florence Avenue, avec une affiche présentant à la fois des lutteurs américains et des luchadores masqués. Le promoteur, Lucha Pro, a commencé à organiser des combats à cet endroit en 2011. Amazona, 32 ans, et Lady Lee, 36 ans, sont les vedettes de la soirée. Il y a moins de monde que d’habitude pour les deux femmes, qui ont toutes deux fait deux heures de route depuis Tijuana. Les fans sont répartis entre plusieurs événements de lutte dans la région ce soir-là, et il semble qu’aucun n’a fait salle comble. Les deux combattantes arrivent en retard, portant leurs masques. Elles viennent de s’affronter lors d’un autre combat de l’autre côté de la ville. Certains de leurs fans les plus fidèles n’ont jamais vu leur visage sans masque. Photo: Zaydee Sanchez The New York Times Photo: Zaydee Sanchez The New York Times Photo: Zaydee Sanchez The New York Times « On applaudit Amazona ! » lance le présentateur du ring alors qu’Amazona franchit la porte, son sac de sport à la main et son fils à ses côtés. Amazona et Lady Lee disposent leurs produits dérivés sur une table près de l’entrée : t-shirts, affiches et masques. Lady Lee sort des biscuits faits maison sur lesquels est imprimé son portrait comestible. Elles saluent ensuite quelques fans avant de se précipiter vers les vestiaires. Il ne s’agit pas d’une véritable pièce, mais d’un petit coin de la salle séparé par un rideau violet. Premier marché hors Mexique La lucha libre a commencé à prendre son essor à Los Angeles dans les années 1960 et 1970, lorsque l’immigration mexicaine aux États-Unis a ouvert de nouveaux marchés. « Los Angeles occupe une place importante dans l’histoire de la lutte mexicaine, car c’est le premier marché où les Mexicains se sont internationalisés, où les superstars mexicaines ont commencé à affronter des lutteurs d’autres pays », explique Javier Robles, manager de lutteurs et propriétaire de Republic of Lucha, une marque de vêtements consacrée à la lucha libre. « Et la presse américaine a adoré », ajoute-t-il. Photo: Zaydee Sanchez The New York Times Photo: Zaydee Sanchez The New York Times Photo: Zaydee Sanchez The New York Times De retour sur Florence Avenue, un lutteur nommé Kayam fait son entrée sur le ring avec une démarche assurée, au son d’une musique mariachi. Il fait partie de la royauté de la lucha libre, un luchador basé à Los Angeles dont le père était un lutteur de renom au Mexique, connu sous le nom d’El Chivo. Kayam, 63 ans, s’apprête à enfiler son masque. Ce combat est l’avant-dernier avant sa retraite. Il se souvient encore de ce que son père lui a appris sur le métier de luchador. « Il disait qu’il fallait comprendre qu’une fois que l’on est lutteur professionnel, on n’est plus comme les gens ordinaires qui marchent dans la rue, explique-t-il. On est un artiste. On est quelqu’un de très, très spécial. » Son père lui a dit : « Tu dois toujours porter ton masque. Tu ne sors jamais sans ton masque, car cela reviendrait à manquer de respect à la tradition. » La soirée culmine avec le combat entre les deux stars de Tijuana : Amazona contre Lady Lee. Amazona a un masque pour chaque occasion. Elle est entrée dans la salle avec un masque noir, mais monte sur le ring avec un masque rouge. Elle est la protagoniste du combat, ou la « técnica » en espagnol. Lady Lee joue le rôle de la méchante, ou la « ruda ». Entre deux mouvements vertigineux, Lady Lee provoque les membres du public et s’en prend à l’arbitre. La salle résonne de coups bruyants, de grognements et de huées. Quand Amazona sort finalement victorieuse du ring, elle est accueillie par une dernière attaque, cette fois-ci de son fils, qui saute dans ses bras. Cet article a été traduit après avoir été d’abord publié en anglais dans le New York Times.