Gérald Darmanin multiplie les annonces concernant le milieu carcéral depuis son arrivée à la Chancellerie. Après avoir communiqué sur la mise en œuvre de prisons de haute sécurité et la construction d’établissements pénitentiaires préfabriqués, le ministre de la Justice souhaite faire payer aux détenus une partie de leurs frais d’incarcération. Le garde des Sceaux en a fait la proposition lundi 28 avril dans une lettre adressée au personnel pénitentiaire, et publiée sur X. Libé fait le point. A lire aussi Prisons : Gérald Darmanin veut faire payer aux détenus des frais d’incarcération De quoi parle-t-on ? Gérald Darmanin a détaillé sa proposition lundi soir sur le plateau du 20 heures de TF1 : «Jusqu’à 2003, les détenus participaient aux frais d’incarcération. Comme il y a un forfait hospitalier, il y avait un forfait de présence dans la prison. […] Je vais rétablir ces frais d’incarcération». En 2002, après le vote de la loi d’orientation et de programmation pour la justice, le code de procédure pénale a effectivement été modifié. Depuis, «le produit du travail des détenus ne peut faire l’objet d’aucun prélèvement pour frais d’entretien en établissement pénitentiaire». Dans un rapport sénatorial sur le travail en prison datant de la même année, il était fait état de «frais d’entretien en établissement pénitentiaire prélevés au profit du Trésor public» : «Les détenus sont directement prélevés sur leur compte, à hauteur de 45,73 euros par mois, observait alors dans l’hémicycle l’auteur du rapport, Paul Loridant. Des frais non facturés aux détenus du service général ou bien à ceux qui ne travaillent pas.» Qui doit être concerné ? Le ministre n’a pas détaillé le montant «symbolique» de ces frais, ni quels détenus allaient être concernés. Selon son entourage, les indigents et les personnes placées en détention provisoire ne devraient en être exemptés. Au 1er avril on comptait en France 82 152 détenus pour seulement 62 539 places opérationnelles, soit une densité carcérale globale de 131,7 %. Ce taux qui dépasse même les 200 % dans 15 établissements ou quartiers pénitentiaires. Ce mardi 29 avril, l’Observatoire international des prisons (OIP) a rappelé dans un communiqué que «seulement 30 % des personnes détenues ont aujourd’hui accès à une activité rémunérée, payée entre 25 % et 45 % du smic». Le document souligne par ailleurs que près de la moitié des personnes détenues sont sans emploi «avant leur entrée en prison» et que 8 % d’entre elles «se déclarent sans domicile». A lire aussi Emmanuel Macron, artisan du dérèglement pénitentiaire En prison, l’espèce, les chèques et les cartes de paiement sont interdits. Mais chaque détenu dispose d’un «compte nominatif», divisé en trois parties : la première correspond à l’argent disponible en prison ; la deuxième constitue le «pécule de libération», une somme mise de côté en prévision de la libération du détenu ; la troisième sert a l’indemnisation des parties civiles. Gérald Darmanin n’a pas précisé si ce «compte nominatif» allait être touché par la mesure annoncée. A quoi les «frais d’incarcération» devraient servir ? Selon le ministre, le fonctionnement des prisons coûte «10 millions d’euros par jour, quasiment 4 milliards d’euros par an». Il entend faire participer les détenus «aux frais [et] au service public de la justice», en soutenant une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 11 mars par le député des Vosges Christophe Naegelen (UDI). L’entourage de Gérald Darmanin indique que deux propositions de loi traitant de ce sujet devraient être examinées à l’Assemblée prochainement. De nombreuses critiques La proposition du garde des Sceaux est critiquée par des organisations de défense des prisonniers et des magistrats. Dans son communiqué, l’OIP dénonce «le prix de l’indignité» et souligne que les personnes incarcérées en France sont «principalement marqué [e] s du sceau de la précarité» : «Outre l’achat d’aliments supplémentaires, de produits frais, etc., les personnes détenues louent leurs télévisions (14,15 € par mois), leurs réfrigérateurs (7,50 € par mois), et l’accès au téléphone est par ailleurs largement surtaxé». Une situation qu’évoque également la contrôleure générale des lieux de privation de liberté auprès de Libération : «Il y a un maximum d’indigents en prison. On y enferme la précarité.» Pour Dominique Simonnot, «payer pour vivre à trois dans une cellule de 9m2 dans des conditions indignes et répugnantes qu’on ne cesse de dénoncer, ça relève du tragicomique». Selon François Molins, ancien procureur général de la Cour de cassation interrogé mardi matin sur BFM TV, faire payer les détenus «n’est pas le problème prioritaire dans les prisons». La priorité «est d’avoir suffisamment de places pour héberger les gens, de leur offrir des conditions [d’incarcération] acceptables», a-t-il précisé, rappelant que la France avait été condamnée à plusieurs reprises pour ses conditions de détention «jugées indignes».